A La Comédie de Genève, le dramaturge et metteur en scène conjugue le grand vertige du cosmos et la vie intérieure des êtres, et donne voix, corps et sublime aux invisibles terrestres et célestes.
Pascal Rambert a pivoté, comme on opérerait un virage après avoir labouré, labouré et labouré encore les mêmes champs fertiles. Ces dernières années, le dramaturge et metteur en scène s’est fait une spécialité, jusqu’à l’obsession, de ces pas de deux ou de groupe, confiés à des comédiennes et comédiens, toujours proches, à qui il fait endosser des rôles sur-mesure. Son texte sous le bras, il leur livre une langue souvent riche, enflammée, génératrice de partitions monologuées à la logorrhée patiemment travaillée. Il y eut Clôture de l’amour, bien sûr, mais aussi Répétition, Actrice, Soeurs (Marina & Audrey), Reconstitution ou encore Architecture, pour ne citer qu’elles, et Pascal Rambert d’ausculter, à chaque fois, sous toutes les coutures, sous tous les angles, et avec un ton unique, les relations humaines, familiales et amoureuses, filiales et passionnelles, jusqu’à l’épuisement ressenti dans Deux amis, où sa plume semblait asséchée. Alors, à la Comédie de Genève, le fin dramaturge qu’il est a changé de braquet et est parti du réel, et du plateau, pour construire une autre poétique, celle de STARs, qui conjugue, avec pudeur et sublime, deux infinis, le grand vertige du cosmos et la vie intérieure des êtres.
Ces êtres, ce sont trois hommes et trois femmes, six travailleuses et travailleurs du secteur des « services », comme il faut dire, que la société a invisibilisés. Il y a Gidia Lafontaine, une infirmière originaire du Honduras, Marta Rodrigues, une aide-soignante venue du Portugal, Makumbi Marques, l’un des hommes de ménage de La Comédie de Genève originaire d’Angola, Linda Holstensson, une esthéticienne dont la voix est portée au plateau par Audrey Bonnet, l’oiseau de nuit Stéphane Klein, et Sami Bkheet, cordonnier de formation, venu de Gaza et aujourd’hui caissier chez Aligro. Ces individus, Pascal Rambert aurait pu les emporter dans une valse purement sociale – ils auraient d’ailleurs eu tant et tant de choses à dire à ce seul sujet –, mais, plutôt que de les cantonner à un théâtre documentaire de stricts témoignages, il les met en regard et en tandem avec des comédiennes et comédiens professionnels – Davide Brancato, Lola Giouse, Roberto Molo, Marie-Madeleine Pasquier, Yvette Théraulaz, Gwenaëlle Vaudin –, telles des excroissances d’eux-mêmes. Ces derniers endossent alors la voix, et les questions, du dramaturge-intervieweur, qui s’est adonné à plusieurs entretiens-conversations avec eux, mais aussi le rôle d’accoucheur d’intimité, aussi infinie qu’insoupçonnée, de cette vie intérieure que la société peine à considérer et qui, pourtant, mijote à gros bouillons, là, sous la cuirasse.
Gidia devient alors cette femme forte, emplie d’une intarissable bonté, trop longtemps séparée de sa fille qu’elle a dû laisser, pendant plusieurs années, au Honduras ; Marta cette employée dévouée aux personnes âgées qu’elle accompagne, nostalgique de son pays natal, le Portugal, où elle a passé les douze premières années de sa vie ; Makumbi ce personnage haut en couleur qui a un avis bien tranché sur les spectateurs de La Comédie de Genève qu’il connait sans jamais les apercevoir ; Linda cette partenaire d’intimité physique dévorée par la soif d’écrire ; Stéphane cet homme qui a vécu, pendant trente ans, en étant la moitié de lui-même ; et Sami cet exilé qui pleure un Gaza perdu. A chaque fois, Pascal Rambert ouvre avec une infinie douceur, sans jamais la fracturer, leur boîte de Pandore, et laisse, par la suite, sa plume dessiner un monologue en réponse à cette confession, afin d’en renforcer et solidifier la poétique première.
Surtout, le dramaturge ne s’arrête pas là. Avec la complicité de Frédéric Plazy qui, avant de devenir directeur de la Haute Ecole de théâtre de Suisse romande, était astrophysicien, il ouvre les perspectives scéniques à l’infini cosmique, dans tout le vertige qu’il peut procurer, et, à ces stars de la terre ferme, il fait répondre celles, aux mille feux, de l’univers. Et c’est une autre poétique qui se dévoile, celle qui a trait à la beauté du ciel, à ses mystères, à ses étoiles dont, quoi que l’on y fasse, on ne voit qu’une image venue d’un plus ou moins lointain passé. Ces deux beautés en miroir, Pascal Rambert les unifie dans une démarche qui a la sensibilité de sa fragilité. Construite au fur et à mesure des répétitions, sa langue brille par sa simplicité, son doigté précautionneux, sa passion de dire sans trahir, de puiser sans piller. Sans effet de style, sans effet de manche, elle est de celles qui parlent, directement et simplement, au cœur, mais aussi à l’esprit avec ses quelques traits d’humour délicats et sensibles.
Au milieu de ce cube blanc éclairé par une lumière aux néons d’une intensité rare – comme si elle cherchait par le truchement de sa puissance à révéler quelque chose –, l’alliance entre les témoins et les comédiens professionnels est, à l’avenant, des plus touchantes, et fertiles. Telles deux parties d’un même symbole, chacun apporte sa force à l’autre, et le complète, grâce à sa sincérité ou à son soutien scénique. Même Audrey Bonnet, qui prête son corps et sa voix aux mots de Linda, parvient à toucher du doigt, sans la mimer, cette simplicité et sensibilité originelles, que la création vidéo de Lou Rambert Preiss illustre parfaitement, avec, notamment, ces images de quidams passés aux rayons X à la sortie du métro. Au-delà de l’invisible visible, Rambert a su rendre sondable l’insondable, perceptible l’imperceptible, brillant l’insoupçonné, en ayant toujours bien conscience que l’infini de la vie intérieure n’a d’égal que celle du cosmos, que l’infiniment petit ne peut réellement se mesurer qu’en regard de l’infiniment grand.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
STARs
Texte, mise en scène, scénographie, lumières et costumes Pascal Rambert
Avec Sami Bkheet, Davide Brancato, Lola Giouse, Linda Holstensson interprétée par Audrey Bonnet, Stéphane Klein, Gidia Lafontaine, Makumbi Marques, Roberto Molo, Marie-Madeleine Pasquier, Marta Rodrigues, Yvette Théraulaz, Gwenaëlle Vaudin
Composition musicale Alexandre Meyer
Création vidéo Lou Rambert Preiss
Images Augustin Losserand
Collaboration artistique Frédéric Plazy
Coordination technique Alessandra Calabi
Assistanat costumes Julie Delieutraz
Assistanat à la mise en scène Estelle Bridet
Fabrication décor Ateliers de la Comédie de GenèveProduction Comédie de Genève
Comédie de Genève
du 23 mars au 2 avril 2022
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