Dans le cadre du dispositif « Talents Adami Théâtre », le dramaturge et metteur en scène offre à huit jeunes stand-uppeuses et stand-uppeurs l’occasion de se produire sur le plateau d’un théâtre public, mais, en épousant trop strictement les codes de cet art, reste malheureusement à la surface de son sujet.
Sur le papier, Stand-up avait tout de l’idée de génie, voire du projet en or massif. Après Gwenaël Morin, Fanny de Chaillé, Émilie Rousset et Louise Hémon, et Lucia Calamaro, pour ne citer qu’eux, l’Adami a choisi de confier les clefs de son dispositif « Talents Adami Théâtre » à Mohamed El Khatib. De cette carte blanche, qui permet chaque année à huit interprètes âgés de 18 à 30 ans de se produire, notamment, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, le metteur en scène, avec la facétie qu’on lui connaît, a souhaité subvertir une partie des codes. Bien décidé à faire monter l’art du stand-up sur les planches du théâtre public, duquel il est encore aujourd’hui largement exclu à cause d’une forme de « mépris artistique », l’artiste a, pour constituer sa petite troupe, passé un appel à candidatures avec des critères plus larges qu’à l’accoutumée. Aux traditionnels « avoir moins de 30 ans » et « justifier d’une formation théâtrale de deux ans minimum ou d’une expérience professionnelle préalable », il a ajouté la pratique du stand-up, façon, pour lui, d’ouvrir plus largement les portes de ce casting « en valorisant des expériences et des parcours alternatifs ». Pour faire son choix parmi les plus de 600 candidatures reçues, Mohamed El Khatib assure n’avoir « lu aucun CV », mais s’être concentré sur « les très brèves lettres de motivation qui devaient mentionner une personnalité du stand-up dont les candidats se sentaient proches », et surtout sur les vidéos de deux minutes demandées à chacune et chacun avec une seule règle : être « particulièrement drôle ».
De ce processus de sélection, sont sortis huit comédiennes et comédiens aux parcours effectivement diversifiés. Si, parmi elles et eux, certaines et certains, tels Emma Bojan, Emna Kallal, Gabrielle Giraud et Najim Ziani, avaient déjà quelques sketchs dans leurs cartons – voire des chroniques sur France Inter pour la première –, d’autres, comme Ayse Kargili, Thomas de Fouchécour et Kevin Perrot, sont toujours en cours de formation, ou se frottent au stand-up pour la première fois, à la manière de Chakib Boudiab, ancien élève à l’École de la Comédie de Saint-Étienne. À toutes et tous, Mohamed El Khatib a demandé de se fondre dans son comedy club d’Épinal, avec son micro à pied, son tapis de sol clair, qui paraît mimer l’éclairage d’une poursuite, et ses micros et ses chaises de tailles, de formes et de couleurs différentes installés en fond de scène pour symboliser, imagine-t-on alors, les multiples nuances de stand-up. À ceci près que, dans le fil dramaturgique qu’il tisse, le metteur en scène se borne également, et de façon surprenante, aux codes du comedy club. Intronisés par Kevin Perrot en maître de cérémonie bègue, l’ensemble des interprètes ne tardent pas à se succéder sur scène pour servir, à tour de rôle, leur petit numéro, comme s’ils passaient au banc d’essais. Dans la plus pure tradition du stand-up, chacune et chacun utilise son vécu – réel ou fictionné – et joue de ses spécificités biographiques pour tenter de faire rire.
Loin de « revisiter ce genre populaire » ou de répondre à la question « Le rire permet-il de réagencer l’ordre social ? », comme l’entendait Mohamed El Khatib, cette enfilade bien trop homogène, et tout juste entrecoupée de brefs apartés, où les comédiennes et les comédiens font mine de retracer l’histoire du stand-up avec un côté Wikipédia assumé, et émaillée de réflexions très succinctes – sur, par exemple, le théâtre comme remède à l’anxiété, le narcissisme des stand-uppeuses et stand-uppeurs, ou la conviction que sa vie mérite d’être racontée –, ne produit que très peu de réflexivité, comme si le metteur en scène était, cette fois, tombé sur un os. Y compris en creux, Stand-up peine à dépasser le stade du constat trop superficiel de ce qui est connu, ou peut être subodoré, sur les difficultés, aujourd’hui, à pratiquer l’humour, sur son pouvoir subversif peut-être moins toléré qu’hier, sur les potentielles limites qu’il est sans doute devenu moins aisé de franchir. Jamais les stand-uppeuses et les stand-uppeurs ne s’interrogent réellement sur la pratique de leur art et sur leur position par rapport à la sphère théâtrale institutionnelle qui parfois les rejette, ne reviennent sur leurs motivations profondes, ne donnent à voir leurs vrais visages derrière le masque des personnages de scène, n’exposent, aussi, les difficultés d’un milieu qui, sous ses airs de nouvel eldorado scénique et numérique, par le truchement des réseaux sociaux où pullulent les nouvelles têtes, peut s’avérer cruel et broyer les aspirants dont il se nourrit, et avec qui il remplit ses caisses.
Touchants d’engagement et de sincérité, Emma Bojan, Chakib Boudiab, Thomas de Fouchécour, Gabrielle Giraud, Emna Kallal, Ayse Kargili, Kevin Perrot et Najim Ziani peinaient alors, au soir de la première, à décrocher plus que quelques rires polis aux spectatrices et spectateurs du Théâtre du Rond-Point, sans doute moins habitués que celles et ceux des comedy clubs à ce genre d’humour. Par la bande, l’expérience prouve que le public est, encore plus que face à une pièce de théâtre, l’une des composantes essentielles du stand-up, en mesure, par une réaction ou une non-réaction, de décerner immédiatement et frontalement les bons et les mauvais points – un rôle qui peut se révéler un peu trop cruel, mais que Mohamed El Khatib nous force à endosser. Surtout, elle démontre, en tentant de la percer, que la frontière entre le stand-up et le théâtre traditionnel est bel et bien en place, que, si des passerelles peuvent exister, l’un n’est pas totalement soluble dans l’autre, en raison notamment des attentes fondamentalement différentes de leurs spectatrices et spectateurs respectifs. Si le stand-up est, à n’en pas douter, un art à part entière, avec son écriture singulière et ciselée, son sens du rythme métronomique et son culot scénique calculé, ce Stand-up en fait, en quelque sorte et à son corps défendant, la démonstration par la négative.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Stand-up
Conception et réalisation Mohamed El Khatib
Avec Emma Bojan, Chakib Boudiab, Thomas de Fouchécour, Gabrielle Giraud, Emna Kallal, Ayse Kargili, Kevin Perrot, Najim Ziani, et la complicité de Jérémy Mutin et Noga Sivan
Collaboration artistique Mathilde Chadeau, Fred Hocké, Camille Nauffray
Son Arnaud Léger
Scénographie Fred Hocké
Vidéo Zacharie Dutertre
Régie générale Jonathan DouchetProduction Zirlib
Coproduction Adami ; Festival d’Automne à Paris
En collaboration avec le Théâtre du Rond-Point
Avec le soutien du Théâtre de GrasseZirlib est conventionnée par la DRAC Centre-Val de Loire – ministère de la Culture, la Région Centre-Val de Loire et soutenue par la Ville d’Orléans. Mohamed El Khatib est artiste associé au Théâtre de la Ville-Paris, au Théâtre national de Bretagne, au Théâtre National Wallonie-Bruxelles et au tnba – Théâtre national Bordeaux Aquitaine.
Durée : 1h10
Théâtre du Rond-Point, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 15 au 19 octobre 2024Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence
les 25 et 26 octobreLa Coursive, Scène nationale de La Rochelle
du 4 au 6 novembreThéâtre de la Coupe d’or, Rochefort
du 7 au 9 novembreEspace 1789, Saint-Ouen, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
le 19 décembreThéâtre de la Croix-Rousse, Lyon
du 8 au 12 avril 2025
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