Les mauvaises nouvelles se multiplient à l’approche des choix budgétaires de fin d’année. Les collectivités territoriales soumises aux coupes venues de l’État décident pour certaines de taper fort sur la culture. De manière générale, en plus d’économies qui s’empilent pour les artistes et les structures, le soutien à la culture semble devenir un marqueur politique, accentuant par là même la fragilisation du secteur.
On a envie de dire : « Jusqu’ici tout allait bien ». Et même si le secteur du spectacle vivant se plaignait régulièrement de ses contraintes budgétaires toujours plus strictes, d’une réduction de la programmation, avec la vague qui monte, certains se mettent à penser qu’il considèrera très bientôt ce passé récent comme un temps béni. Coupes drastiques sur la culture (et pas que) en région Pays de la Loire, festival Odyssées supprimé par le Conseil départemental des Yvelines – 350 000 euros d’économies –, scénarios à la baisse que les collectivités demandent à droite, à gauche, aux acteurs du spectacle vivant… Les mauvaises nouvelles pleuvent à l’approche du vote des budgets pour l’année 2025, laissant craindre un véritable « tsunami » pour reprendre les propos de Laurent Brethome.
Le directeur de la troupe Le Menteur Volontaire est d’ores et déjà dans l’œil du cyclone, basé à La Roche-sur-Yon, en région Pays de la Loire, où la présidente de l’exécutif régional, une proche de Bruno Retailleau désormais encartée à Horizons, Christelle Morançais, a décidé d’amputer de 100 millions d’euros les budgets de la Région sur ses compétences facultatives, parmi lesquelles la culture. Dans le cas de Laurent Brethome, c’est une coupe directe de 40 000 euros pour sa compagnie et le festival Nuits Menteuses qu’il déploie chaque été à La Roche-sur-Yon. « Mais depuis un an, je travaille à des scénarios de réduction bien plus importante encore, de plus d’un tiers de mes subventions. Ça craque de partout, au niveau de toutes les collectivités et de l’État. Je le dis, malheureusement, nous allons affronter une vague géante. »
Pour rappel, au niveau national, un rapport sénatorial de 2020 souligne « le rôle moteur joué par les collectivités territoriales dans le domaine de la culture. Celles-ci ont largement investi le champ culturel, qui représente aujourd’hui environ 4,4 % de leurs dépenses globales. Elles contribuent activement à l’organisation et au développement de l’offre culturelle sur les territoires et sont devenues essentielles en termes de financement. » En effet, elles investissent autant, voire plus que l’État – dépenses du ministère de la Culture et, pour la culture, des autres ministères additionnées –, communes en tête. « En 2016, elles ont assumé 58 % des dépenses des collectivités territoriales, suivies par les intercommunalités (20 %), les départements (14 %) et les régions (8 %). »
Une charge dirigée contre le festival
Pour Abdelwaheb Sefsaf, qui vient d’annuler le festival Odyssées 2025 auquel le Conseil général des Yvelines – présidé par le LR Pierre Bédier – a retiré ses 350 000 euros de subventions, c’est l’incompréhension qui domine. Il raconte comment le bruit courait depuis six mois. « En juin, j’ai demandé si la subvention allait être reconduite. Sans réponse. En septembre, un mail laconique m’a appris qu’il fallait s’attendre à des coupes. Mais ce n’est que tout récemment, en présence des différentes collectivités, qu’on m’a réaffirmé que les 350 000 euros fléchés sur ce festival allaient être supprimés ».
S’il dit comprendre les problèmes budgétaires auxquels les collectivités doivent faire face, le directeur du CDN de Sartrouville et des Yvelines ne conçoit pas, pour autant, que la charge ait ainsi été dirigée contre le festival. « S’ils avaient amputé les budgets de 5 % de manière horizontale, également répartie, chacun aurait pu s’adapter. D’autres départements procèdent ainsi. On aurait réduit la voilure, on aurait agi en responsabilité ». Mais cette biennale, qui fait à chaque édition voyager six créations pour le jeune public à travers les établissements scolaires et autres maisons de la jeunesse d’un département dont Abdelwaheb Sefsaf rappelle qu’il est à moitié rural, ne verra pas le jour en 2025. L’artiste garde cependant « la main tendue », a demandé à rencontrer le président du Département, et espère encore voir le Conseil général s’engager sur les éditions suivantes, et ne retirer sa subvention que pour cette année.
Dans le projet de loi de finances (PLF) 2025, le Sénat avait réduit de plus d’un milliard d’euros l’effort demandé aux collectivités, mais la chute du gouvernement Barnier rebat les cartes. Sans budget, la visibilité se réduit et on peut interroger ces coupes qui tombent alors que les budgets ne sont pas votés. En attendant, ici et là, on demande aux structures de plancher sur des scénarios de baisse. À Noisiel, en Seine-et-Marne, Marion Fouilland-Bousquet, qui dirige la Ferme du Buisson, une scène nationale regroupant un théâtre, un centre d’art contemporain et un cinéma, détaille : « Nos partenaires financiers nous ont alertés sur leurs difficultés à verser les contributions et subventions prévues dans la convention pluriannuelle d’objectifs votée fin 2023 pour 2024-2027. Ce budget était déjà très tendu. Et, pour le tenir, nous avions lancé des mesures pour augmenter nos ressources propres – mécénat, location d’espaces… Mais les résultats ne peuvent être immédiats. Donc, s’il faut encore revoir les prévisions à la baisse, cela va conduire à des mesures douloureuses avec un impact immédiat sur l’emploi et une réduction drastique de l’offre artistique. Au total, nous serons de moins en moins en mesure d’assurer nos missions de service public de la culture ». Sans indice supplémentaire quant aux budgets à venir, la Ferme du Buisson va tenir un conseil d’administration le 13 décembre où aucun budget ne pourra être voté. En attendant, « on est démuni et inquiet, mais on dialogue avec les élus du territoire, avec les équipes, avec d’autres directions de lieux pour ne pas abîmer ce qui fait l’essentiel de notre mission : la rencontre permanente entre l’art et la population », conclut la directrice.
Taper sur la culture, un marqueur de droite ?
Les causes sont donc connues : budget de l’État en berne, pression accrue sur les collectivités territoriales qui choisissent parfois la culture comme première variable d’ajustement. Il paraît lointain le temps pourtant récent où la culture était envisagée comme moteur du développement territorial, facteur d’enrichissement et d’emplois. En 2011, un rapport commandé par l’ancienne locataire de la rue de Valois, Aurélie Filippetti, avait mis en évidence ce que tout le monde pressentait : la culture rapporte au pays et à ses territoires. Les festivals fleurissaient depuis longtemps, les métropoles rivalisaient d’ambition culturelle pour attirer de nouvelles populations : Lille, Nantes, puis Marseille ont suivi ce chemin.
Gaëlle Le Stradic, présidente de la commission culture et sports au Conseil régional de Bretagne, explique : « En Bretagne, nous allons voter le budget le 14 décembre, même si le PLF ne sera pas encore fixé. La Région provisionne 56,5 millions d’économies, car on sait que le déficit de l’État, même en changeant de gouvernement, ne va pas s’envoler. Seulement, ici, on a décidé de ne pas réduire le budget de la culture et des sports. Comme depuis trois ans d’ailleurs. On va faire porter l’effort sur des budgets plus conséquents, ceux de la mobilité et des lycées ». Un choix qu’elle justifie ainsi : « La culture et le sport donnent un sentiment d’appartenance à la Bretagne. Et offrent du lien social, des circulations et une cohésion entre les territoires. Un match de foot, un festival permettent de tisser du lien. Et la culture, c’est aussi une filière économique qui génère de l’emploi, de l’activité et du tourisme. »
Un argumentaire que reprend Richard Fournier du Plongeoir, Pôle national cirque du Mans, qui s’est vu retirer deux subventions régionales pour un total de 100 000 euros. Par un coup de fil le 20 novembre, un SMS le 22, et une lettre-type reçue en début de semaine. « C’est d’une immense brutalité. Il n’y a aucune concertation, aucun dialogue. Par ailleurs, 1 euro dans la culture, c’est 6 euros qui vont se redéployer ailleurs. On fait vivre des artistes, des techniciens, mais on alimente aussi les secteurs de la restauration, de l’hébergement, du nettoyage, de la location de matériel. Si on veut se consacrer à l’emploi et à la jeunesse, comme le dit la Présidente [de la Région Pays de la Loire, NDLR], je ne comprends pas cette décision ». Toutes et tous le disent à demi-mot pour ne pas insulter l’avenir, mais, derrière les décisions budgétaires, se profilent des choix politiques. Pour Gaëlle Le Stradic, « la décision de la Région Bretagne, c’est clairement un marqueur de gauche ». Après des années relativement consensuelles et transpartisanes, taper sur la culture serait-il en passe de devenir un marqueur de droite ?
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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