A Strasbourg, le festival Musica programme deux versions originales et très différentes de Peer Gynt, le chef-d’oeuvre d’Ibsen, placé sous les signes de l’attente, de l’errance et de l’amour.
Hâbleur en diable et globe-trotteur, avide de gloire et de richesse, pauvre vagabond en quête d’identité, Peer Gynt n’en finit pas de fasciner. Fake, un spectacle musical et déambulatoire du collectif La Muse en Circuit, se propose de partir à ses trousses dans l’espace public de la cité. Le comédien Abbi Patrix, fantastique conteur, portant sur lui et en lui toute la dimension picaresque du personnage, narre, fait vivre et ressentir en une petite heure seulement les nombreuses et tumultueuses aventures tirées du poème épique d’Ibsen. Il emmène le public en itinérance dans sa course folle, accompagné d’une petite équipe de musiciennes et régisseurs réalisant en direct sous la houlette du compositeur Wilfried Wendling un environnement sonore fascinant, pensé et effectué avec quelques instruments, des percussions et de simples matériaux mis au service d’une riche inventivité.
Tout parvient aux oreilles des spectateurs épars et un peu hagards munis d’un casque audio et se laissant aisément embarquer par la force inspirante des récits, celui d’une extraordinaire chevauchée de bouc, celui de l’enlèvement d’une jeune fille le jour même de ses noces… Le monde renversé des Trolls où le vrai est faux et le laid est beau trouve sa place au milieu des vendeurs et des badauds sur la brocante dominicaine. De retour au pays après une vie d’errance, Peer Gynt est jovialement attendu par la fanfare locale. Fake extrait finement la pièce de sa tradition folklorique et de sa dimension légendaire pour prendre place malignement dans la réalité et le quotidien de la vie sociale. On ne peut lui reprocher que les très inutiles échos à la vie politique contemporaine. Trop abrupts et anecdotiques. On leur préfère de loin les envolées poétiques et mélancoliques de la pièce originale magiquement restituées. Ce spectacle sera à nouveau présenté lors d’un focus Peer Gynt à la Filature de Mulhouse les 26 et 27 septembre prochains.
L’autre version vue à la suite est une pièce proposée par le metteur en scène catalan et internationalement connu Calixto Bieito avec la complicité de l’auteur Karl Ove Knausgard. Son originalité est d’écarter le rôle-titre perpétuellement fuyant au profit du personnage féminin qui donne inspire et son titre à l’œuvre Solveig [l’attente]. Si discrète dans la pièce originale tandis qu’elle a tout quitté pour suivre l’être aimé et qu’elle se trouve finalement abandonnée par lui, Solveig est une résistante généreuse. Elle attendra son retour et le sauvera de son amour. Convaincu que la grandeur d’âme se trouve de son côté à elle et non de celui de Peer Gynt, Bieito la propulse sur le devant de la scène et en fait l’héroïne d’un monologue mi-chanté mi-parlé sur la musique enivrante d’Edvard Grieg. Beauté nordique, fraicheur vocale, soprano doux et fragile, la chanteuse Mari Eriksmoen au magnétisme filmé en direct et démultiplié sous tous les angles, fait de Solveig une pure figure sacrificielle et livre une prestation pleine de sensibilité.
En abandonnant son esthétique résolument trash, Calixto Bieito convie le spectateur à un voyage plus intime et intérieur, entre théâtre existentiel et méditation spirituelle. Cela prend place dans un cube aux parois d’un blanc clinique cerclés des musiciens de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et des membres du Choeur de l’OnR placés sous la direction du chef Eivind Gullberg Jensen revisitant avec délicatesse la célèbre musique de scène à laquelle s’ajoutent des chants sacrés.
La solitude est au cœur du propos, comme la nature, plus rugueuse qu’accueillante, comme le temps qui passe et ravage. Trois générations apparaissent à l’image et ainsi tous les âges de la vie. De puissantes et vibrantes évocations de l’origine et de la finitude se multiplient et se superposent pour faire de ce court spectacle un condensé de questionnements humains. Lorsque l’interprète conclut la courte pièce de sa si subtile berceuse chantée devant l’accouchement d’un nourrisson filmé en plan serré, l’émotion est à son comble.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Solveig (L’Attente)
Edvard Grieg , Henrik Ibsen
d’après « Peer Gynt » (1876)
musique Edvard Grieg
livret Karl Ove Knausgård
mise en scène Calixto Bieito
conception vidéo Sarah Derendinger
Orchestre philharmonique de Strasbourg
Chœur de l’Opéra national du Rhin
direction musicale Eivind Gullberg Jensen
chef de chœur Alessandro Zuppardoproducteur exécutif Bergen International Festival/Anders Beyer
coproducteurs Tivoli Copenhagen, Teatro Arriago de Bilbao, Vilnius Festival, Gothenburg Symphony Orchestra, Iceland Symphony Orchestra et Opéra national du Rhin
Associé tournée internationale : HarrisonParrottOpéra national du Rhin
les 19, 20, 22 et 23 sept à 20h
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