ComĂ©dienne, metteuse en scĂšne et violoniste, formĂ©e Ă lâERACM, Constance Larrieu joue sous la direction de Ludovic Lagarde, Guillaume Vincent, Simon DelĂ©tang, Jonathan Michel, Emilie Rousset, Jean-Philippe Vidal, Didier Girauldon, Jean de Pange et Sylvain Maurice qui la met en scĂšne dans Arcadie d’aprĂšs le roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam. Le spectacle fait l’ouverture de la saison du ThĂ©Ăątre de Belleville Ă Paris.
Avez-vous le trac lors des soirs de premiĂšre ?
Oui, bien sĂ»r. C’est excitant et en mĂȘme temps, assez Ă©trangement, c’est un trac qui se manifeste avant de monter sur le plateau par une fatigue soudaine, avec l’impression qu’il va falloir gravir une montagne, mais que, comme par hasard, je n’ai aucune Ă©nergie et que je n’y arriverai jamais, qu’aujourd’hui tout spĂ©cialement il faudrait vraiment que je me repose pour une fois, que ça tombe mal cette date quand mĂȘme ! Je me mets Ă bĂąiller, j’ai furieusement envie de dormir et j’ai trĂšs peur de me ramollir. Mais je sais que c’est mon corps qui se met en veille, qui se protĂšge, qui conserve son Ă©nergie pour le moment fatidique.
Comment passez-vous votre journée avant un soir de premiÚre ?
En gĂ©nĂ©ral, je prends soin d’Ă©crire des mots doux et d’offrir une petite attention Ă mes partenaires de jeu et Ă toute l’Ă©quipe de crĂ©ation. J’aime prendre mon temps pour les prĂ©parer et ça me mobilise une bonne partie de la journĂ©e â dans le cas d’un monologue c’est Ă©videmment beaucoup moins long ! Je mange des choses que j’aime, je sors me promener pour m’aĂ©rer le cerveau et voir cette lumiĂšre du jour qu’on voit si peu pendant les rĂ©pĂ©titions. Parfois, j’ai la chance de passer un peu de temps prĂ©cieux avec quelqu’un que jâaime, ma famille, un.e ami.e qui a fait le chemin spĂ©cialement pour venir voir le spectacle. Je me fais plaisir en prĂ©parant ma tenue pour le soir : il faut que ce soit la fĂȘte, que ça brille ou que ce soit un peu inattendu. Ensuite, je vais au thĂ©Ăątre toujours beaucoup trop tĂŽt pour faire une italienne de mon texte, prendre la tempĂ©rature du lieu, m’Ă©chauffer, sentir l’espaceâŠ
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scĂšne ? Des superstitions ?
Je mange peu et suffisamment tĂŽt pour me sentir lĂ©gĂšre, mais dynamique, je m’Ă©chauffe en musique pour me vider la tĂȘte, Ă©lever mon tonus et allier souplesse du corps et ancrage au sol, puis je fais des exercices avec ma paille pour m’Ă©chauffer la voix en soufflant dedans jusqu’Ă deux minutes avant d’entrer en scĂšne. L’Ă©chauffement de la paille, c’est un truc que j’ai appris quand j’Ă©tais Ă l’Ăcole d’acteurs et que pratiquent aussi certains chanteurs lyriques. C’est trĂšs efficace pour prĂ©server sa voix, bien Ă©galiser ses registres, etc. Je ne m’en suis jamais sĂ©parĂ©e. J’ai maintenant une trĂšs belle paille en mĂ©tal dĂ©corĂ©e dâune pierre offerte par une amie comĂ©dienne. Et puis, ça fait toujours rire les collĂšgues d’entendre des sons de vocalises de paille jusque dans les loges ou les coulisses.
PremiĂšre fois oĂč je me suis dit « je veux faire ce mĂ©tier ? »
Ă 4 ans, je voulais ĂȘtre chanteuse d’opĂ©ra. J’ai d’abord fait du violon et chantĂ© dans un choeur, mais il me manquait les mots, le texte, le sens. J’adorais lire et j’Ă©tais une enfant trĂšs bavarde. J’avais mĂȘme des grandes conversations avec mon lavabo quand la patience de mes proches sâĂ©puisait. Quand j’ai rĂ©alisĂ©, vers 7 ans, que le thĂ©Ăątre pouvait rĂ©unir ma passion pour la musique et la langue des auteur.ices, et que je pourrais mĂȘme un jour ĂȘtre payĂ©e pour parler et qu’on m’Ă©coute, alors câest devenu une Ă©vidence et mĂȘme une urgence !
Premier bide ?
TrĂšs jeune, Ă un spectacle de solfĂšge sur le grand plateau de la ScĂšne nationale d’Annecy. Avec un costume flamboyant, je devais courir et sauter dans les bras de plusieurs copains alignĂ©s avec leurs mains tendues pour me rattraper en vol sur La Valse des Patineurs. Je cours, je saute et, au dernier moment, ils baissent leurs mains et je me prends un plat monumental, sans douleur, heureusement, mais trĂšs honteux. Le public explose de rire. Je ne sais pas comment gĂ©rer l’accident, et en coulisse j’entends la prof hyper enthousiaste souffler : « Recommence ! Recommence ! »
PremiĂšre ovation ?
Ă la fin de La Fonction de l’orgasme, un spectacle que nous avons co-Ă©crit et co-mis en scĂšne avec Didier Girauldon Ă partir de l’ouvrage psychanalytique Ă©ponyme de Wilhelm Reich, un Ă©lĂšve de Freud qui, dans les annĂ©es 1930, posait l’orgasme comme un projet politique et sociologique, comme un rempart contre toute forme d’extrĂ©misme. Ăa a Ă©tĂ© l’un des spectacles fondateurs de notre travail en binĂŽme au sein de notre compagnie et aussi mon premier monologue comme comĂ©dienne.
Premier fou rire ?
Dans La Mort de Danton de BĂŒchner, mis en scĂšne par Ludovic Lagarde au ThĂ©Ăątre de la Ville. Juan Cocho, qui jouait Robespierre, se lance dans son grand monologue Ă©pique. Il y avait pas mal d’effets de son, c’Ă©tait un moment un peu « tendu », trĂšs beau, trĂšs politique et incarnĂ©, et tout Ă coup, on entend des gens dans le public crier : « On n’entend pas ! On n’entend pas ! ». Ensuite, Laurent Poitrenaux, qui jouait Danton, arrive en scĂšne, et lĂ son pantalon un peu trop grand tombe sur ses mollets, il se retrouve en caleçon. Impossible de garder notre sĂ©rieux, on luttait, mais on a vraiment tous eu un fou rire collectif sur scĂšne. Rien que d’y repenser j’en ris encore.
PremiĂšres larmes en tant que spectatrice ?
En 2005, au Festival d’Avignon. Mon premier Avignon comme spectatrice, un magnifique cadeau de ma mĂšre pour fĂȘter mes 18 ans. C’Ă©tait dingue ! Papperlapapp de Marthaler dans la Cour dâhonneur du Palais des papes avec une scĂ©nographie incroyable dâAnna Viebrock, des enceintes qui semblaient vivantes sous les gradins et des acteurs qui chantaient du Mozart entre des machines Ă laver et des bancs d’Ăglise.
Les larmes ont continuĂ© Ă couler Ă bien dâautres reprises pendant cette mĂȘme Ă©dition mythique : Marina AbramoviÄ, Mathilde Monnier, Jan Lauwers, Wim Vandekeybus, Joseph Nadj, Jan Fabre, Jean-François Sivadier⊠J’ai vĂ©cu une succession de chocs esthĂ©tiques et thĂ©Ăątraux dans ces espaces aussi Ă©piques que la CarriĂšre de Boulbon ou la Cour d’honneur. Ce sont des sensations encore trĂšs vives aujourd’hui pour moi.
PremiĂšre mise Ă nu ?
Dans la scĂšne de l’aveu de PhĂšdre Ă Hippolyte que j’avais choisie pour passer le concours de l’ERACM. Assumer sa monstruositĂ© et ses fragilitĂ©s, se livrer sincĂšrement, radicalement, faire sauter les barriĂšres. « La maĂźtrise du lĂącher prise », câest ce quâon essaie de faire Ă chaque fois quâon monte sur scĂšne, non ?
PremiĂšre fois sur scĂšne avec une idole ?
En 2009, dans Un nid pour quoi faire d’Olivier Cadiot, mis en scĂšne par Ludovic Lagarde, avec Laurent Poitrenaux. Il avait Ă©tĂ© l’un de nos intervenants Ă l’Ă©cole et nous avions explorĂ© Lagarce, KoltĂšs et Peter Handke. Il avait Ă©tĂ© tellement pĂ©dagogue, bienveillant et exigeant Ă la fois que nous l’admirions tous, tant humainement que professionnellement. Jouer avec lui tout de suite, Ă la sortie, et encore plus ce texte que j’adorais, c’Ă©tait une immense joie. J’ai beaucoup appris comme comĂ©dienne Ă son contact, et Ă celui de Ludovic Lagarde et Olivier Cadiot.
PremiĂšre interview ?
C’Ă©tait au sujet de ma premiĂšre mise en scĂšne autour de Manque de Sarah Kane dans une version rythmique et sonore en 2008 Ă Marseille. J’avais beaucoup prĂ©parĂ© cette entrevue, je voulais qu’elle soit dense et qu’elle parle vraiment de la dĂ©marche performative et musicale qui nous habitait avec les acteurs. C’est un des textes qui ne m’a jamais quittĂ©e.
Premier coup de cĆur ?
Sans hĂ©siter, je passe cette rĂ©ponse au pluriel : les tous premiers spectacles dâEmma Dante, GisĂšle Vienne, AurĂ©lien Bory et Pascal Rambert que jâai vus Ă la ScĂšne nationale dâAnnecy quand jâĂ©tais au lycĂ©e. Je mâen souviendrai toute ma vie ! Ils ont fondĂ© mon dĂ©sir de thĂ©Ăątre, de mĂȘme que tous les spectacles de Marthaler. Et Ă lâopĂ©ra : PlatĂ©e de Rameau, mis en scĂšne par Laurent Pelly, et Alcina de Haendel, mis en scĂšne par Katie Mitchell.
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