Au Théâtre Paris-Villette, Selma Alaoui s’empare du road trip punk de la romancière. D’une fidélité à toute épreuve à l’intrigue, elle le transforme en un polar gentillet, qui manque de mordant.
Les romans de Virginie Despentes sont rarement aimables. Depuis Baise-moi, en 1994, la romancière se plaît à mettre des coups de pied dans la fourmilière, à grands traits de plume, finement aiguisée, et avec un art de la formule qui fait toujours mouche. Avant sa fameuse trilogie Vernon Subutex, elle avait sorti, en 2010, un autre livre, Apocalypse Bébé, un temps en course pour le Goncourt, mais qui aura finalement décroché le prix Renaudot. Entre satire sociale et road trip lesbien, de Paris à Barcelone, elle y croque à pleines dents une société déboussolée, à travers la figure de Valentine, une jeune femme en fuite.
A ses trousses, s’engage un iconoclaste duo. Jeune détective, Lucie Toledo est une enquêtrice tombée du nid, sans talent, ni flair particulier. Mandatée pour retrouver l’adolescente disparue, elle s’adjoint les services de la Hyène, héroïne despentienne par excellence. Rustre, séductrice, sûre d’elle-même, la quinquagénaire a l’intuition des meilleurs et les méthodes de travail des barbouzes d’antan. Elle ne recule devant rien pour que l’entourage de Valentine se mette à table, et délivre les secrets qui pourraient permettre de retrouver sa trace. En creux, se dessinent une famille décomposée, plus que recomposée, autour d’un père failli, et un entourage « amical » cruel, où sexe, alcool et drogue font bon ménage.
À ce récit, Selma Alaoui est d’une fidélité à toute épreuve. L’esprit de Virginie Despentes, sa volonté de se moquer des bonnes gens et de sonder les âmes de ceux que la société considère en marge, est là, et bien là, mais il en va tout autrement de la manière. A trop coller aux basques de l’histoire, l’adaptation de la metteuse en scène, installée à Bruxelles, en a oublié l’intertexte, berceau de ces pépites littéraires qui font tout le sel, et contiennent tout le poil à gratter, des ouvrages de la romancière. Le punk trash de Despentes se transforme alors en un propos presque aimable, gentillet, aux allures vaguement rock. Sans complètement démériter, Selma Alaoui ne cherche jamais à pousser les feux de l’intrigue, à en souligner la pertinence, et surtout l’impertinence. La satire sociale du livre se meut en un polar édulcoré qui ne rebondit pas suffisamment sur les sentences textuelles les plus saillantes.
Alors, d’un bureau d’enquête miteux à une boîte underground de Barcelone, on suit l’histoire de Valentine, au gré d’habiles changements de décor, sans déplaisir, mais sans en comprendre l’intérêt sous-jacent, comme si aucune lecture ne devait s’imposer. A l’avenant, les comédiens se fondent, parfois avec difficulté, dans la peau des personnages hauts en couleur patiemment sculptés par Despentes. Si Eline Schumacher et Aymeric Trionfo trouvent leur voie en Valentine esseulée et en jeunes garçons perdus, Mélanie Zucconi et Ingrid Heiderscheidt sont, souvent, trop caricaturales et monochromes en enquêtrice un peu gourde et en Hyène qui manque de mordant. Pas de quoi crier au scandale, donc, mais d’une adaptation d’un roman de Virginie Despentes, on s’attendait à ressortir plus décoiffé.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Apocalypse Bébé
d’après Virginie Despentes
Mise en scène et adaptation Selma Alaoui
Avec Maude Fillon, Ingrid Heiderscheidt, Nathalie Mellinger, Achille Ridolfi, Eline Schumacher, Aymeric Trionfo et Mélanie Zucconi
Scénographie et costumes Marie Szersnovicz
Création lumière Simon Siegmann
Création sonore Guillaume Istace et David Defour
Dramaturgie & vidéo Bruno Tracq
Assistanat à la mise en scène Amel Benaïssa, Jeanne Dailler et Alexis Lameda
Direction technique Rémy Brans
Conseil vidéo Arié Van Egmond
Conseil artistique Emilie Maquest et Coline StruyfCoproduction Théâtre de Liège, Théâtre Varia – Bruxelles, Théâtre de Namur, Théâtre le Manège – Mons / avec l’aide de la Fédération Wallonie Bruxelles – Service du théâtre et du Centre des Arts Scéniques et de la COCOF.
Durée: 1h50Théâtre Paris-Villette
Du 12 au 28 mars 2019
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