En mettant en scène trois brèves pièces écrites par Nicolas Doutey, réunies sous le titre Théâtre et amitié (triptyque), Sébastien Derrey fait advenir un théâtre aussi expérimental qu’intrigant, où la folie et l’absurdité se télescopent avec finesse.
Nicolas Doutey, à n’en pas douter, est un drôle de bonhomme. Artiste associé au Théâtre Olympia, CDN de Tours, il est surtout un auteur à la plume singulière, comme le prouvent ses trois courtes pièces présentées sous le titre Théâtre et amitié (triptyque), mises en scène par Sébastien Derrey ; trois courtes pièces qui déroutent, amusent et interrogent. Car ses personnages ont beau parler français, ils s’inscrivent tous dans une réalité particulière, où le temps, l’espace et leur façon de communiquer ne correspondent absolument pas aux nôtres. En clair : si l’on ne peut affirmer avec certitude que Nicolas Doutey est fou, on peut écrire sans exagérer que ses productions marchent sur la tête.
Dans la première, Je pars deux fois, un homme et une femme constatent que quelque chose a changé. Quoi ? Ce n’est pas clair, justement. Il est question d’un chien adopté, d’un ami européen, d’un braquage, d’une rupture, et d’un lieu adéquat pour rompre. Mais le trouble est omniprésent, parce que la femme est jouée par deux actrices, qu’elle ne semble aucunement affectée par la séparation, et que l’on ne sait jamais si l’action se déroule avant ou après la rupture. Intitulé Théâtre et amitié, le deuxième volet met en scène deux hommes. L’un pense qu’il y a un problème ; l’autre pas. Alors ils débattent, mais il manque les termes du débat. Jamais on ne comprend ce qui pose problème. Et puis, une foule de personnages, incarnés par des comédiens amateurs, fait irruption sur scène, ce qui paraît résoudre le problème.
Dans la dernière, La Table planétaire, c’est un couple qui monte une table, genre IKEA, et discute de choses et d’autres avec une intensité démesurée par rapport à l’enjeu de la conversation – faut-il que l’homme organise un pot pour les gens de son travail, chez lui ? Jusqu’à l’arrivée d’un individu qui vient de traverser l’océan à la barque et se met à participer à la construction du meuble, permettant à chacun de prendre un certain recul. On parle du texte avant de parler des planches, parce que c’est avant tout un théâtre de texte, ou plutôt un théâtre de langage. À la mise en scène, Sébastien Derrey figure un espace vide, presque clinique. La lumière est crue. On pourrait être sur un ring de boxe, ou dans une boîte crânienne. Les comédiens se fondent dans ce monde avec un engagement remarquable.
Et ça marche, comme l’art expérimental peut marcher. À défaut d’émouvoir, ce théâtre impose l’altérité avec de vraies différences, il amuse par sa bizarrerie, et impressionne, aussi, par son travail, car Nicolas Doutey tisse un texte qui va bien au-delà de la tradition absurde. Quelque part, l’existence de ces pièces-là, ainsi que leur rencontre avec un public, est une preuve de santé, tant artistique que sociétale.
Igor Hansen-Løve – www.sceneweb.fr
Théâtre et amitié (triptyque)
Textes Nicolas Doutey (Éditions Théâtre Ouvert pour Je pars deux fois et Théâtre et amitié ; Éditions Esse Que pour La Table planétaire)
Mise en scène Sébastien Derrey, en collaboration avec Vincent Weber pour la pièce Théâtre et amitié
Avec Rodolphe Congé, Vincent Guédon, Catherine Jabot, Nathalie Pivain, Olga Grumberg, Frédéric Gustaëdt
Assistante Lorraine Malherbe
Scénographie Rémi Godfroy, Sébastien Derrey
Lumières Anne Vaglio (Théâtre et amitié et La Table planétaire) ; Rémi Godfroy (Je pars deux fois)
Son Isabelle Surel, assistée de Paulin Bonijoly
Costumes Elise Garraud
Accessoires (pour La Table planétaire) Olivier Brichet
Régie générale et régie Lumière Emmanuelle Phelippeau, Titouan Lechevalier
Régie son Paulin BonijolyProduction migratori K merado
Coproduction migratori K merado, Théâtre Olympia – CDN de Tours, Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines – Paris, Comédie de Béthune – CDN des Hauts de France, Notoire – Paris, La Fonderie – le Mans
Avec le soutien de la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île de France – Ministère de la CultureLa compagnie migratori K merado est conventionnée par la DRAC Île-de-France.
Durée : 1h40 (Je pars deux fois : 45 minutes ; Théâtre et amitié : 15 minutes ; La Table planétaire : 40 minutes)
Vu en janvier 2025 au Théâtre Olympia, CDN de Tours
Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines, Paris
du 13 au 22 mars
Comédie de Béthune, CDN des Hauts-de-France
les 29 et 30 avril
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