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Personne, un Abécédaire pour son père

A voir, Les critiques, Paris, Théâtre

© Nadège Le Lezec

Adaptation du roman éponyme de Gwenaëlle Aubry, conçu en binôme par Elisabeth Chailloux et Sarah Karbasnikoff, Personne raconte la folie d’un père par le biais rationnel et rigoureux d’un abécédaire. Pour ne pas l’enfermer mais au contraire le libérer à travers les nombreuses portes d’entrée de l’alphabet. Un regard éminemment subjectif et littéraire mis en scène et interprété avec doigté, dans un mélange de sobriété et de fébrilité.

P comme Personne. P comme père. Cette pièce suit la rigueur d’un abécédaire. Entreprise de classification littéraire qui renvoie en clin d’œil à l’Abécédaire de Gilles Deleuze, Personne ne range rien mais tente plutôt de convoquer, à travers une constellation de figures, l’identité morcelée d’un père bipolaire, de traquer post mortem et par les mots la multiplicité d’un homme diffracté par la maladie, abritant une foule en lui. Le roman éponyme de Gwenaëlle Aubry est paru en 2009, recevant à sa sortie le prix Femina. La comédienne Sarah Karbasnikoff, fort impressionnée par sa lecture, fut rapidement happée par la nécessité de lui donner corps et voix. Le faire entendre. La littérature qui se lève, le théâtre puisant à sa source lui offre une verticalité nouvelle. Et les phrases résonnent alors autrement dans l’espace-temps de la représentation, dans l’écho qu’elles trouvent à travers le public. Si l’on devait juger la qualité d’un spectacle à la qualité de l’écoute qu’il génère dans un mouvement de vases communicants entre la scène et la salle, assurément celui-ci porte haut sa mission. C’est un silence proche du recueillement, une attention fine et subtile, qui accompagnent la comédienne seule en scène, de A jusqu’à Z.

Sur le plateau, deux immenses panneaux servent d’écrans de projection tout en structurant l’espace, dégageant une ouverture vers l’arrière-scène, comme une mise en perspective de la vie évoquée devant. Car derrière git le lit et dans sa métaphore le mort. Si Personne n’a rien d’un journal de deuil, son projet romanesque s’est ancré dans la disparition paternelle et la découverte de carnets, notes et manuscrit inachevé laissé à l’intention de sa fille écrivain avec cette injonction : « A romancer ». Nulle révélation en jeu ni confidence intime à l’œuvre, l’enjeu est ailleurs tout comme je est un autre. De cette matière première, Gwenaëlle Aubry fait le point de départ de son cheminement littéraire jusqu’à ce père rendu insaisissable par « ce spectre dérangeant » comme il nommait lui-même sa folie. Elle ne recherche pas la vérité des faits ni la compréhension psychologique, elle ne suit aucune chronologie mais la logique imparable de l’alphabet comme une porte d’entrée pour appréhender sous 26 angles différents cet homme si proche et si loin, bourgeois brillant terrassé par des phases délirantes emportant tout sur leur passage, lui en premier, et bien sûr, son entourage.

Qu’est-ce qu’une vie qui échappe à celui-là même qui la vit ? Comment sonder les gouffres abyssaux de l’autre ? Qui plus est quand celui-ci est son propre géniteur. Sarah Karbasnikoff, épaulée par Elisabeth Chailloux à l’adaptation et à la mise en scène, plonge littéralement dans ce dictionnaire subjectif aussi douloureux que lumineux. Elle porte ce texte avec un engagement constant, une émotion sur le fil, avec l’intensité de celles qui ont un secret important à transmettre. Tout entière habitée par l’écriture de Gwenaëlle Aubry, elle prête sa voix à la fille autant qu’à ce père absent, ce vide qui aspire dans sa béance les êtres l’aimant. Elle s’approprie la prose précise et profonde de l’autrice avec un respect mêlé de gravité. Et l’on sent que ce qui se joue là dans cette rencontre fusionnelle entre un texte et une interprète est une évidence. Et cette évidence illumine le geste de mise en scène autant que la présence de la comédienne et ses fantômes. Et nos fantômes de rencontrer les siens par le miracle du théâtre…

Dans cette salle des pas perdus, salle d’attente anonyme et froide, ponctuée à jardin d’un micro sur pied, à cour d’un carton de déménagement, Sarah Karbasnikoff évolue au fil de l’alphabet, change d’état comme de veste, convoquant en un tissage serré les mots du père et de la fille entremêlés. Ses déplacements ne sont jamais gratuits, son corps toujours en mouvement, qu’il s’agenouille en avant-scène, s’allonge à plat ventre sur le costume paternel, révèle sa silhouette diluée par le panneau transparent ou en ombre chinoise, porte toujours sur lui le poids des mots qu’il dit. Voix grave et agréable, un brin rocailleuse, elle dialogue avec les figures multiples qui racontent ce père particulier, capable du meilleur comme du pire, aspiré dans son propre gouffre abritant tant de visages. Si le mot « aliénation » est le premier prononcé en scène, c’est Antonin Artaud qui ouvre le bal de la lettre A et la voix off en introduction annonce la couleur du délire et de ce qui suivra. Entre autres compagnons de route, Jean-Pierre Léaud, Dustin Hoffman, James Bond côtoient d’autres rôles, le clown, le pirate, l’homme sans qualité, le maître du vide… De tous ses masques, lequel est le plus vrai ? Où se cache François-Xavier Aubry ? Le texte navigue entre références, souvenirs d’enfance ou d’adulte, sensations et réflexions, il se perd dans cette forêt de facettes autant qu’il s’y arrime pour mieux envelopper le disparu. Et se faisant, l’orpheline tisse un linceul de mots à celui qui préféra la crémation à l’inhumation. Son corps en des milliers de cendres. Son corps dans des enveloppes. Et ce livre pour que sa vie ne soit pas une lettre morte.

Personne rend grâce à l’écriture de Gwenaëlle Aubry, à ce qu’elle brasse à ciel ouvert, à ce qu’elle dit de la folie. Et dans sa sobriété et sa justesse infinie, ce spectacle nous invite à contempler le mystère qui nous habite, notre « nous » intérieur, ce qu’on appelle l’être. Dépouillé du paraître et des béquilles. Nu à la vie.

Marie Plantin – www.sceneweb.fr

Personne
Texte Gwenaëlle Aubry Adaptation Sarah Karbasnikoff
Mise en scène Elisabeth chailloux
Avec Sarah Karbasnikoff et la voix de Frédéric Cherbœuf
En partenariat avec le Théâtre de la Ville

Durée 1h20

Du 9 au 27 janvier 2024
Au Théâtre 14

13 janvier 2024/par Marie Plantin
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