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Elisabeth Chailloux révèle les rapports de classe et de genre chez Mademoiselle Julie

A voir, Les critiques, Paris, Théâtre
Alain Richard / Bellamy

Yannik Landrein et Pauline Huruguen photo Alain Richard / Bellamy

Elisabeth Chailloux met en scène avec brio Mademoiselle Julie d’August Strindberg, dans une nouvelle traduction et révèle un trio virtuose de comédiens.

Quelques jours à peine après la fin de l’exploitation de Mademoiselle Julie au Théâtre de l’Atelier, c’est une autre version de la pièce d’August Strindberg qui débute, cette fois au Théâtre de la Tempête. Conçue par Elisabeth Chailloux, ancienne co-directrice du Théâtre des Quartiers d’Ivry avec Adel Hakim, la mise en scène explore, en s’appuyant sur un trio de comédiens à l’interprétation brillante, autant les rapports de classe que de genre dépliés par le texte.

Écrite en 1888 par le dramaturge, romancier, essayiste et peintre suédois (1849-1912), ce huis-clos naturaliste se déroule la nuit de la Saint-Jean. Cette fête de juin, où selon Strindberg lui-même, « les Trolls sont de sortie », est celle de tous les renversements et audaces possibles. La pièce débute sous cet auspice : avant même de découvrir la cuisine du comte, et tandis que la scène demeure plongée dans l’obscurité, ce qui nous est donné à voir est la fête au loin. Une fête signifiée aussi simplement qu’efficacement : tandis que l’ouverture d’une porte en fond de scène révèle quelques guirlandes, Girls Just Want To Have Fun de Cindy Lauper résonne. Bientôt, la musique ne devient plus qu’un bruit en arrière-fond, et la lumière se fait. Dans la cuisine, meublée d’un plan de travail et d’une table, Kristin est aux fourneaux. Jean, le domestique, la rejoint. Tandis qu’elle lui sert à manger, celui dont on comprend qu’elle est la fiancée évoque le comportement inapproprié de Mademoiselle Julie, la fille du comte. Mais Jean et Kristin ne demeureront pas seuls très longtemps, car Mademoiselle Julie les rejoint. Et la jeune femme, en préférant demeurer ce soir là auprès de ses valets, puis en séduisant Jean, va provoquer sa propre chute. Julie mourra, comme sa chienne qu’elle a elle-même condamné pour la punir d’être allée avec le chien d’un employé.

C’est peu de dire que ce « concentré de théâtre », dixit Elisabeth Chailloux, repose sur les comédiens, sur leur capacité à se saisir de la langue de Strindberg et à incarner le basculement de leur personnage. Car si l’intégralité de l’action visible se déroule dans la cuisine, si la pièce débute et se clôt dans la grange (c’est dans ce lieu fruste et lointain, invisible, que la fête se déroule, là aussi que Julie ira mettre fin à ses jours – signe de son déclassement), dans ce mouvement un renversement s’est opéré. Celle qui ne cesse de clamer l’égalité entre maîtres et valets paiera par sa transgression, son éducation boiteuse – elle confie à Jean avoir été élevée par sa mère comme un garçon manqué –, et par son sexe, son comportement inconvenant. À l’inverse, Jean, intéressé par les arts, arrogant et calculateur et, surtout, membre du sexe dit fort, va s’élever. Tous deux connaîtront le parcours annoncé par leur rêve respectif – ascension pour l’un, chute pour l’autre – en s’affrontant, en se faisant face aussi bien verbalement que physiquement.

Dans le décor sobrement réaliste et contemporain, les trois interprètes (Anne Cressent pour Kristin, Pauline Huruguen pour Julie, Yannick Landrein pour Jean) tiennent chacun d’une main de maître leur personnage. Pieuse et vertueuse, Kristin préfère se tenir à distance du drame et traverse tel un spectre la nuit du drame (une présence qui, si elle vise à souligner l’éloignement de la domestique de ce qui se joue, s’avère plutôt superflue), avant de reprocher à Jean ses agissements. Aristocrate et impulsive, flirteuse et imprévisible, consciente de ses atouts, Julie incarne une femme complexe, désireuse d’obtenir une indépendance loin des carcans bourgeois. Quant à Jean, sa volonté tenace d’ascension sociale et de réussite économique l’amènent à prolonger à tout prix l’ordre établi. Dans ce trio la place de chacun s’énonce par son vocabulaire : tandis que Jean et Julie usent le plus souvent d’un langage soutenu, Kristin s’adresse à Jean à la troisième personne, ce mode impersonnel renvoyant à la frontière invisible existant entre elle et lui. Traduite par Elisabeth Chailloux, la pièce offre des dialogues vifs et nerveux, évoluant entre différents registres de langue.

Au fil du spectacle, à la question de la possible remise en question des rapports de classe s’adjoint de plus en plus fortement celle des rapports de genre. Si le roturier, en tant qu’homme, peut s’élever, la femme de noble naissance ne peut trahir son rang sans le payer chèrement. Partition implacable, rigoureuse dans ses artifices scéniques et dans sa direction d’acteurs, la mise en scène sans esbroufe et maîtrisée d’Elisabeth Chailloux révèle avec intelligence l’impossible émancipation féminine dans une société calcifiée dans ses conventions bourgeoises.

Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr

Mademoiselle Julie
de August Strindberg
texte français et mise en scène Élisabeth Chailloux
avec Anne Cressent, Pauline Huruguen, Yannik Landrein scénographie et lumières Yves Collet et Léo Garnier costumes Dominique Rocher réalisation costumes Majan Pochard son Madame Miniature assistant à la mise en scène Pablo Dubott

production Théâtre de la Balance, subventionné par le ministère de la Culture ; coproduction et résidence de création : le Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National du Val-de-Marne ; résidence de création au Théâtre de la Tempête.

Durée : 1h35

Théâtre 14
du 29 mars au 2 avril 2022

29 mars 2022/par Caroline Chatelet
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