Au Théâtre de l’Atelier, le metteur en scène Christophe Perton peine, malgré la présence de Romane Bohringer au plateau, à donner du relief à cette pièce, plus mineure que d’autres, de Jean Cocteau.
Après Les Parents terribles, créé en 2020 au TNN, Christophe Perton poursuit sa route avec Jean Cocteau. Au lieu de se plonger dans La Voix humaine, le metteur en scène a opté pour un texte plus mineur du dramaturge, Le Bel Indifférent, à partir duquel Jacques Demy avait, malgré tout, réalisé un court métrage en 1957. De cette pièce écrite pour Edith Piaf, l’artiste n’a pas choisi la version interprétée en son temps par La Môme, mais ce qu’il présente comme un « inédit », un « long poème qui ne fut jamais utilisée » et qu’il s’approprie ici avec une tonalité pop-rock bien de notre époque. La chanteuse des années 1940-1950 a donc cédé sa place à une interprète du star-system qui remplit les salles de concert à défaut de remplir son coeur. À peine sortie de scène, la quadragénaire trahit son obsession pour son jeune amant, qui a la moitié de son âge, et qu’elle cherche à tout prix à joindre. En vain. Réfugiée dans sa chambre d’hôtel où elle se fait un sang d’encre, où son attachement maladif et sa jalousie ressortent par tous les pores, elle voit bientôt débarquer le bellâtre, ce « magnifique gigolo » écrit Jean Cocteau, au cou duquel elle ne tarde pas à s’accrocher. Las, le bel éphèbe ne l’entend pas de cette oreille et s’enferme dans un mutisme radical, éhonté, presque furieux, auquel la chanteuse oppose son désespoir.
Métaphore d’une relation tristement toxique, exacerbation de la dimension destructrice du sentiment amoureux, lorsque celui-ci se transforme en poison lent, la pièce de Cocteau paraît, en dépit de ses enjeux atemporels et aussi vieux que l’amour lui-même, avoir passablement vieilli dans sa manière de dresser le portrait d’une femme forcément éplorée à la merci d’un homme goujat à souhait, rampante et suppliante au lieu d’être forte et autonome. Surtout, le texte n’a ni la force, ni la beauté de La Voix humaine, dont il semble, alors qu’il a été écrit a posteriori, n’être qu’un pâle brouillon, ou une mauvaise redite. Recroquevillé sur lui-même, il se cantonne à conjuguer le mot désespoir sur tous les tons, jusqu’à l’overdose, voire jusqu’au ridicule. Peut-être conscient de ces faiblesses, Christophe Perton tente de lui donner du relief scénique plutôt que d’en proposer une lecture véritablement moderne et pertinente, mais, loin de donner les moyens de mieux appréhender cette oeuvre, ce travail de mise en scène ne fait que révéler le curieux plafond de verre en-deçà duquel elle se trouve enfermée.
À mesure que la représentation avance, le spectacle ne fait que révéler ses différentes limites au lieu de gagner en profondeur. Limites musicales, d’abord, atteintes par la composition de Maurice Marius et Emmanuel Jessua, sous-tendue par des arrangements maintes et maintes fois entendus ; limites vocales, ensuite, touchées par Romane Bohringer dont la voix caverneuse lutte, le plus souvent, avec les instruments véloces des musiciens au lieu de faire corps avec eux ; limites scénographiques, enfin, observées lors de l’utilisation purement décorative de la vidéo qui peine à dépasser le stade du cache-misère. Il faut attendre les rares moments de théâtre plus bruts pour que la comédienne puisse faire montre de son talent d’actrice et donner un peu d’épaisseur, et de combativité, à cette femme désemparée, au lieu d’apparaître, une nouvelle fois, submergée par son environnement. On regrette alors que Tristan Sagon, mal dirigé dans son rôle de « bel indifférent », se borne à un mutisme maniéré et à des esquisses chorégraphiques un peu trop empruntés pour lui donner véritablement le change, et sortir la pièce de cet étrange parfum d’artificialité où elle semble baigner et se complaire.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Bel Indifférent
de Jean Cocteau
Adaptation, mise en scène, scénographie Christophe Perton
Avec Romane Bohringer, Tristan Sagon, et Emmanuel Jessua (lead guitare et claviers), Maurice Marius (chant et claviers), Jonathan Maurois (guitare), Pierre Rettien (batterie), Charles Villanueva (basse)
Composition musicale originale Maurice Marius, Emmanuel Jessua
Collaborateur artistique et premier assistant Maurice Marius
Vidéaste Baptiste Klein
Créateur lumières Jean-Pierre Michel
Chorégraphie Glyslein Lefever
Répétiteur de chant Mark Marian
Costumes Christophe Perton, Céline Guignard-Rajot
Assistante chorégraphe et mise en scène Victoria Rose Roy
Assistante costumes Lucie Guillemet
Assistant vidéo et captation Léolo PujebetProduction SCÈNES&CITÉS
Avec le soutien du Comité Cocteau et du Centre National de la Musique
La compagnie SCÈNES&CITÉS est conventionnée par le ministère de la Culture DRAC Auvergne – Rhône-Alpes et la Région Auvergne – Rhône-Alpes.Durée : 1h15
Théâtre de l’Atelier, Paris
du 11 octobre au 12 novembre 2023Théâtre de Longjumeau
le 23 novembreThéâtre d’Aurillac
le 28 novembreThéâtre Le Liburnia, Libourne
le 30 novembre
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