Artiste associé au Théâtre Prospero à Montréal, Roland Auzet aurait dû y être pour répéter sa nouvelle création, The One Dollar Story de Fabrice Melquiot. Si la Covid a empêché son déplacement, elle n’a pas eu raison de son travail de mise en scène : grâce à des technologies adaptées, il dirige la comédienne Sophie Desmarais à distance. Bienvenue chez lui.
Entre le metteur en scène et compositeur Roland Auzet et la comédienne Sophie Desmarais, il y a toujours eu un écran interposé. La pièce The One Dollar Story de Fabrice Melquiot aurait dû les rassembler du 7 décembre au 10 janvier au Théâtre Prospero à Montréal, où Roland Auzet a déjà créé avec sa compagnie Act Opus un spectacle en tant qu’artiste associé. La pièce aurait dû être présentée au public après cette période de résidence. Pourra-t-elle voir le jour à ce moment-là ? Au Québec comme en France, la question de la réouverture des théâtres en janvier reste ouverte. Elle doit être réexaminée le 11, en fonction de l’évolution de l’épidémie, dont le comportement est aujourd’hui très proche de celui que l’on observe chez nous. « Nous croyons à vrai dire peu à cette réouverture, mais nous faisons tout pour que le spectacle soit prêt si jamais nous avions une bonne surprise », nous dit Roland Auzet dans le salon de son appartement parisien. Sur la proposition du Théâtre Prospero, il a décidé de mener sa résidence à distance. Un geste de « survie artistique » dont il a partagé avec nous un moment.
Le théâtre comme un radeau
À 16 heures le 22 décembre, lorsqu’il nous reçoit, Roland Auzet a déjà travaillé deux heures avec l’équipe technique du spectacle. À Montréal, il est alors 10 heures du matin : Sophie Desmarais arrive au Théâtre Prospero pour commencer son service de répétition. « L’équipe a adapté ses horaires en fonction du décalage horaire, pour la première partie de la résidence. Mais lorsque les filages vont commencer, je vais devoir travailler la nuit, comme je l’ai déjà fait à quelques reprises depuis le début de ce travail très particulier. Être jetlagué sans bouger de son salon, c’est une expérience ! », s’amuse le metteur en scène. Il n’a toutefois pas hésité à se lancer dans l’aventure, qu’il décrit comme un « naufrage sur un bateau ». « À la moindre erreur, on coule. Cette distance nous oblige tous, et moi en particulier, à remettre en question nos modes habituels de fonctionnement. Impossible de penser les choses de manière verticale : en mon absence, les différents membres de l’équipe ont une importante responsabilité. Je dois m’en remettre à eux pour me faire une idée précise du rendu au plateau de nos tentatives ».
Mis en place par le Théâtre Prospero, le logiciel Zoom à trois plans, dont un est géré par une opératrice vidéo qui manipule la caméra en fonction de ses besoins, a ses limites que l’on constate lorsque Roland Auzet prend place derrière son ordinateur pour entamer sa répétition. À l’ordre du jour : la recherche des axes pour un film avec téléphone portable qui sera projeté en direct à cour et à jardin. L’une des scènes répétées ce jour-là soulignait particulièrement l’étrangeté du processus de création. Dans le rôle d’une jeune Américaine qui raconte son enquête sur elle-même à travers l’Amérique, Sophie Desmarais y évoque sa relation sexuelle passée avec un homme. Si la comédienne entend grâce à une oreillette les commentaires que lui fait Roland Auzet, si elle peut aussi le voir sur un écran installé dans les gradins, il est évident que la distance entre eux complique le travail sur l’intime, sur l’émotion.
L’humilité sinon rien
La confiance entre actrice et metteur en scène doit être totale. Ils l’ont construite ensemble avant d’aborder le plateau, à travers de longs échanges par Zoom en tête-à-tête sur le texte. « On ne peut aborder une mise en scène à distance comme on aborde un travail plus classique. Au moment de commencer les répétitions au plateau, il faut déjà avoir une idée précise de ce que l’on veut. On ne peut miser sur l’expérimentation : celle-ci vient après, à l’intérieur des cadres solides établis au préalable ». Les méthodes nécessaires à l’avancée de la création s’inventent au jour le jour. Elles naissent des problèmes rencontrés, des questions que posent cette situation inédite. La traversée de Roland Auzet et de l’équipe québécoise n’est donc pas de tout repos.
« La semaine dernière, nous avons même failli tout arrêter », nous confie le metteur en scène. « Jusque-là, on s’entêtait tous à de nombreux égards à faire comme d’habitude. Ça ne pouvait pas fonctionner. Après une réunion de trois heures, nous avons décidé de continuer en changeant certaines choses. Et en se disant que davantage que le spectacle, l’enjeu est de réussir à travailler ensemble dans cette situation ». Si pour Roland Auzet comme pour ses collègues éloignés, ce contexte de création n’a rien d’idéal, il offre son lot de leçons. « L’humilité est indispensable, car nous devons tous remettre en question tout ce que nous croyions savoir ». Au terme de cette aventure, c’est certain, « la rencontre sera bouleversante ». Si elle ne peut avoir lieu en janvier comme prévu, québécois et français devront attendre mars 2022, pour une reprise du spectacle. L’époque nous aura au moins appris une bonne chose : la patience.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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