Le chorégraphe signe pour le Ballet de l’Opéra de Paris une création luxuriante dans laquelle le faste et la fête sont au cœur d’un rituel dansé aux accents bachiques et mystiques.
C’est bien la première fois que Hofesh Shechter signe une pièce de grande envergure pour une compagnie qui n’est pas la sienne. La création mondiale de Red Carpet vient consolider le lien noué depuis plusieurs années entre le chorégraphe et les danseurs de l’Opéra de Paris. Après l’entrée au répertoire d’opus particulièrement offensifs, tels que The Art of Not Looking Back (2018) ou le couplage d’Uprising et In your rooms (2022), tous empreints d’une contestation viscérale et rageuse face à la violence et au chaos tragiques du monde, Shechter revient à une tonalité qui paraît plus légère en prenant pour source d’inspiration le glamour propre à l’univers du gala, du café-théâtre ou du cabaret. Le rouge annoncé dès le titre de sa nouvelle œuvre n’est autre que la couleur prestigieuse du théâtre lui-même, ostensiblement exposé sur la scène comme dans la salle du Palais Garnier avec son velours et ses tentures. L’ouverture majestueuse d’un rideau de scène à l’italienne dévoile in medias res un monde trouble et enchanteur où le rêve et l’artifice produisent un effet aussi étrange que fascinant. Un peu comme dans le récent Theatre of Dreams où des micro-situations surgissaient subrepticement dans les interstices de pendrillons coulissants, la mise en abyme fonctionne à plein régime dans Red Carpet. Elle est même amplifiée par le jeu référencé avec le lieu qui sert d’écrin au spectacle. C’est en effet au-dessous, puis autour d’un immense lustre en bronze doré – une réplique totémique de celui qui illumine le foyer de la danse – que les interprètes bouillonnent et vibrionnent jusqu’à l’impossible extinction.
L’ambiance est celle d’un bal, d’un club, dont l’énergie assez étourdissante est proche de la fièvre ou de l’ivresse. Entre représentation et abandon de soi, les figures convoquées font écho à l’histrionisme burlesque et grinçant des clowns qu’on retrouve occasionnellement dans l’œuvre de Shechter. Elles paraissent tels des fêtards patentés, des noctambules lunaires, un peu planants, gesticulants, parés de tenues de soirée d’une exubérante hybridité et très chiquement signées par la maison Chanel. Investis, inventifs, les treize danseurs réunis au plateau sont fabuleux, et collectivement, et individuellement, car vraiment au diapason de la précision millimétrée comme de l’exaltation débordante qui font la singularité de l’écriture explosive de Shechter. Cette grammaire dont on retrouve bon nombre d’invariants esthétiques – scène quasiment vide et teintée de clair-obscur avec des nettes bascules de lumières et de fuligineux fumigènes – et chorégraphiques – gammes de mouvements continuellement impulsifs et organiques – réclame beaucoup de présence et de personnalité aux danseurs et danseuses qui font montre d’aisance et d’agilité, et semblent y trouver un plaisir et une liberté aussi évidents que communicatifs.
Musclée par une bande-son jouée en direct par un quatuor de musiciens entre rock tapageur, jazz vrillant et pointes de douceur orientale, la danse est souple et nerveuse, exigeante d’un point de vue physique et émotionnel tant elle déborde et emporte dans un état d’effervescence. La deuxième partie de la pièce tend à s’extraire du clinquant pour proposer une dimension plus spirituelle. De manière cérémonieuse, une danseuse commence à se dévêtir de ses facétieux oripeaux, suivie du reste du groupe qui finit par laisser tomber le masque, faire craqueler le vernis superficiel de l’artifice, et retrouver une sorte d’authenticité, de pureté originelle, signifiées par une nudité métaphorique que suggèrent des costumes couleur chair comme une seconde peau. Accompagnés par un choral de voix angéliques qui semblent venues de l’au-delà, les corps recueillis et implorants gagnent en simplicité et en fragilité, dépourvus de la protection que leur conférait le costume. Ces mêmes corps inassouvis et mus d’un dernier irrépressible élan conjurent bel et bien l’inertie qui flottait, et redoublent de force et de ferveur pour réaffirmer jusqu’à l’extase leur jeunesse, leur passion et leur vitalité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Red Carpet
Chorégraphie Hofesh Shechter
Avec Clémence Gross, Caroline Osmont, Lydie Vareilhes, Ida Viikinkoski, Laurène Levy, Adèle Belem, Marion Gautier de Charnacé, Antoine Kirscher, Alexandre Gasse, Mickaël Lafon, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Julien Guillemard, Loup Marcault-Derouard
Costumes ChanelDurée : 1h05
Opéra national de Paris, Palais Garnier
du 10 juin au 14 juillet 2025Zellerbach Hall de Berkeley, San Francisco (États-Unis)
du 2 au 4 octobre
New York City Center (États-Unis)
du 9 au 12 octobre
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