Carnets de création (1/28). Créatrice de costumes de scène, Séverine Thiébault mène un travail rigoureux et sensible, au plus près des projets des équipes qu’elle accompagne de Anne-Laure Liégeois à Guillaume Clayssen en passant par le Cirque Aïtal ou Les Anges au plafond.
Il y aurait (comme l’a par ailleurs détaillé le philosophe et critique Roland Barthes dans un article 1), une qualité du costume de théâtre. Fonctionnalité, respect et mise en valeur de la corporéité de l’acteur, beauté sans hypertrophie ni vulgarité. Pour qui découvrira des spectacles auxquels collabore la créatrice de costumes de scène Séverine Thiébault, c’est ce sentiment qui prédominera : celui de se trouver face à des costumes qui ne sont pas là pour être vus, mais qui, avec goût et équilibre, donnent à voir les émotions, les idées, les positions des personnages.
Ayant suivi une formation en arts plastiques, c’est par des rencontres que Séverine Thiébault se retrouve à réaliser ses premiers costumes pour un spectacle de certains de ses amis. Découvrant là un métier, la richesse d’un savoir-faire manuel lié au travail de troupe, elle décide de s’y plonger, d’abord en travaillant dans des ateliers de fabrication, en assistanat et chef d’atelier aux côtés de créateurs, avant de devenir elle-même créatrice. Aujourd’hui, elle collabore avec des compagnies de théâtre, de théâtre d’objet, de cirque ou de danse (Cie Les Anges au plafond, Anne-Laure Liégeois/Cie Le Festin, Le Cirque Aïtal, Guillaume Clayssen/Cie Les Attentifs, Jean-Luc Vincent/Cie Les Roches blanches, etc.)
Parlant de son métier, elle souligne la spécificité d’un travail à chaque fois différent, à adapter aux besoins et pratiques de chaque équipe artistique : « Certains metteurs en scène sont très investis. Avec Anne-Laure Liégeois, par exemple, c’est une collaboration, un regard extérieur, car elle a une vision esthétique de ses scénographies et costumes. Ayant pratiquement toujours tout conçu elle-même, Anne-Laure voit et sait ce qu’elle veut. D’autres metteurs en scène me laissent une part plus libre d’interprétation. Rien n’est formulé en amont sur des esthétiques, des coupes. » Mais dans tous les cas, « tout est toujours soumis à discussions ensemble. »
« Nous travaillons sur un vocabulaire qui reste étouffé du fait de ne pas pouvoir rencontrer le public »
Certains projets l’amènent à éprouver « de nouvelles méthodologies, à changer de regard », comme ceux menés avec l’équipe des Anges au plafond. Qu’il s’agisse du Bal marionnettique ou du Nécessaire déséquilibre des choses mis en scène par Brice Berthoud, la présence de marionnettes impose de « ne pas travailler dans des corps mais autour de corps inanimés. Moi qui ai l’habitude de préparer préalablement à la table, sur maquettes, sur des toiles – d’avoir une temporalité un peu longue sur la construction – j’ai travaillé sur peu de choses, avec des matériaux bruts, sans les assembler de manière traditionnelle avec la couture, mais avec de la colle, du scotch, afin de les tester immédiatement en jeu. C’est un langage différent, qui nécessite de comprendre les mécaniques internes de ces objets marionnettiques, et permet d’avoir une grande faculté d’interprétation et de projection vers les objets finis. Construire et expérimenter le même jour au plateau est impressionnant au début, mais très jubilatoire.
L’évocation de ces diverses collaborations amène, évidemment, celle de l’impossibilité actuelle de jouer. À ce sujet, Séverine Thiébault souligne « la grande tristesse et le déchirement » ressentis. D’autant que le récit des derniers mois consiste à égrener les reports de créations et de représentations : reportée, la tournée du Bal marionnettique ; reportée, la création du Nécessaire déséquilibre des choses ; reportée, les dates de Et me voici soudain roi d’un pays quelconque imaginé par Guillaume Clayssen (et dont quelques représentations ont eu lieu à huis-clos en janvier à l’Echangeur, à Bagnolet), etc. Une situation génératrice de frustration : « C’est comme si nous avions un bâillon sur la bouche. Nous travaillons sur un vocabulaire qui reste étouffé du fait de ne pas pouvoir rencontrer le public, sans le regard duquel nous sommes inexistants. Je ne sais pas combien de temps nous allons supporter cela. Me vient cette sensation d’une parole évaporée, silencieuse.
Parmi les activités sur lesquelles elle va plancher dans les semaines à venir figure, outre des séances de travail avec les metteuses en scène Anne-Laure Liégeois et Cécile Arthus pour leur spectacle respectif, l’approche de la nouvelle création d’Odile Grosset-Grange qui monte Et puis on a sauté, adaptation d’un texte de Pauline Sales. Autant de projets stimulants, qui n’empêchent pas Séverine Thiébault d’exprimer son inquiétude sourde pour l’avenir. « Je suis en création permanente depuis mars dernier, mais cela va, au bout d’un moment, cesser. Ces embouteillages d’exploitation vont s’arrêter et il va être difficile de faire des plans sur l’avenir… »
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
1. « Les maladies du costume de théâtre », Roland Barthes, revue Théâtre populaire, 1955.
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