Génération sceneweb (3/30). Passée, aux yeux de beaucoup, de l’ombre à la lumière à la faveur des Idoles de Christophe Honoré, la comédienne veut continuer à cultiver son jardin, celui du théâtre underground contemporain.
Dans la bande des Idoles de Christophe Honoré, Marlène Saldana campait le rôle du vilain petit canard, toujours un peu à l’écart. Celui de Jacques Demy qui, contrairement à ses compagnons fantomatiques, Cyril Collard, Serge Daney, Hervé Guibert, Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce, n’avait jamais révélé son homosexualité, et encore moins sa séropositivité. Et pourtant c’est elle qui, un soir de janvier 2019, a éclipsé, pour un temps, ses partenaires de jeu avec un coming-out dansé d’une virtuosité à faire pâlir les ors du Théâtre de l’Odéon. Aux yeux de beaucoup, la comédienne s’est révélée ce soir-là. En réalité, elle n’a fait que transiter, du théâtre underground contemporain, où elle reste malgré tout nichée, aux lumières moins confidentielles du plateau d’un théâtre national, qu’elle foulera à nouveau, si tout va bien, en mars prochain avec Le Ciel de Nantes, toujours sous la direction de Christophe Honoré.
Car la comédienne est loin d’être une perdrix de l’année. Contre vents et marées, elle roule sa bosse théâtrale depuis maintes saisons, avec le travail d’Yves-Noël Genod comme indélébile marqueur, le Zerep de Sophie Perez et Xavier Boussiron comme turbulent compagnon et Boris Charmatz comme révélateur d’une épiphanie chorégraphique. « Pour moi, la rencontre avec la danse a vraiment tout changé et je la considère désormais comme un art au-dessus du reste, confie-t-elle. Quand j’étais jeune, je voulais faire du théâtre de texte, mais aujourd’hui, je suis incapable de rester sur une chaise à triturer une phrase pendant des heures. Mis à part pour les rares personnes qui travaillent précisément sur le texte, ce réflexe relève de la peur, et la peur, au théâtre comme ailleurs, c’est chiant. » Alors, Marlène Saldana a basculé du côté de la performance, de ce « théâtre punk qui cherche à emmener le public ailleurs ».
Une forme de théâtre en danger
Avec son comparse, Jonathan Drillet, qu’elle retrouvera début février pour Showgirl au Théâtre Nanterre-Amandiers, elle a d’abord tenté de s’arrimer au monde, politique notamment. On l’a vu, par exemple, en 2012, avec Le Prix Kadhafi, exploré les relations tortueuses entre Nicolas Sarkozy et le dictateur libyen dans une ambiance de safari disco club. « Sauf qu’aujourd’hui, tout va tellement vite qu’on ne peut plus suivre, qu’on est dépassé, remarque-t-elle. Il n’y qu’à voir le retour en force de Shakespeare, Molière et tout le lot d’anciens pour se dire que le théâtre est un peu pris de vitesse. Le problème, c’est que parler d’aujourd’hui avec hier est toujours difficile. Vouloir expliquer notre époque en utilisant Dostoïevski me rend un peu dubitative. C’est d’autant plus dommage qu’il y a tellement de sujets nouveaux comme l’identité ou le genre, sur lesquels nous sommes à la bourre. Même si les oeuvres nouvelles suscitent souvent plus de réactions à cause de l’époque, je crois que c’est notre rôle d’en prendre plein la gueule. C’est un sale boulot, mais il faut bien que quelqu’un le fasse. »
Ce « sale boulot », elle voudrait, justement et simplement, continuer à pouvoir le pratiquer dans les dix prochaines années, mais, malgré sa notoriété acquise au cours de la dernière décennie, elle se montre inquiète. « Vu le style de théâtre que recherchent la plupart des scènes nationales et des CDN, cela sent mauvais pour nous, assure-t-elle. Avec les départs de Mathilde Monnier du Centre national de la danse et de Philippe Quesne des Amandiers, je me demande bien où est-ce que nous allons fabriquer nos spectacles. A Paris, je suis curieuse de voir qui va accueillir Jonathan Capdevielle, Gisèle Vienne, Théo Mercier, François Chaignaud, Gaëlle Bourges ou encore Milo Rau. Mis à part le CDN de Caen, le Théâtre Saint-Gervais de Genève et les Subsistances qui nous aident, c’est difficile pour cette forme de théâtre-là en ce moment, celui qui ne se satisfait pas de monter du Molière de façon moderne. On s’amuse beaucoup à faire les choses, mais, contrairement à ce que certains pensent, on n’est pas des rigolos. » Pour assurer les arrières de son art, Marlène Saldana a échafaudé un plan : compter sur elle-même, construire une carrière individuelle suffisamment solide pour produire ses spectacles, « voire décrocher la tête d’un lieu ». Bien lui en prendra.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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