Dans Voyage en Ataxie, le comédien, metteur en scène et dramaturge orchestre un dialogue avec la maladie neurodégénérative dont il est atteint. Un cauchemar, drôle, tendre et lumineux, qui lui permet de conjurer le sort.
Ces vingt dernières années, Gilles Ostrowsky n’a cessé de voir son cœur balancer, entre le comique, d’un côté, et le tragique, de l’autre. « En tant qu’acteur, mais aussi en tant qu’auteur, j’ai toujours voulu les mélanger pour voir comment on passe de l’un à l’autre, comment on peut atteindre ce point de basculement particulier où les deux se nourrissent et créent de l’émotion », détaille-t-il. Il est de ces artistes qui n’hésitent pas, comme dans Le retable, le Christ et le clown, à transformer une bataille de tartes à la crème en séance de crucifixion ou, comme dans Les Fureurs d’Ostrowsky, à métamorphoser en délirant dîner le repas où Thyeste mange ses propres enfants, servis en ragout par son frère Atrée. « Et je me rends compte aujourd’hui que cette bascule constante ressemble à la vie », souligne-t-il. A fortiori lorsque le tragique devient réalité.
Chez le comédien, il s’est invité au petit matin. En 2017, il a commencé par chanceler, à peine levé. Son médecin s’est d’abord montré rassurant. « « Ce n’est rien, un petit problème d’oreille interne », disait-il ». Sauf qu’après six mois de séances de kiné, la situation de Gilles Ostrowsky ne s’arrange pas. Pis, son équilibre devient de plus en plus précaire et inquiète la femme de Thierry Roisin. Lors des répétitions du Cri du zèbre, mis en scène par son mari, elle conseille au comédien de consulter le neurologue de l’hôpital de Poissy où elle est cheffe de service.
Le verdict tombe alors : le problème est d’ordre neurologique et ressemble à une atrophie multisystématisée (MSA), une maladie dégénérescente rare, imprévisible et incurable, due à une perte progressive de neurones. « Durant toute la phase de diagnostic, le plus gros soucis des médecins aura été de mettre un nom sur cette maladie, raconte Gilles Ostrowsky. Pour eux, cela a longtemps été un échec de ne pas pouvoir nommer, de ne pas pouvoir dire de quoi il s’agissait. Ils avaient besoin de voir quelque chose, mais la MSA n’est qu’un rassemblement de plusieurs symptômes et ne peut se détecter ni avec une prise de sang, ni avec un IRM. »
Un trio en symbiose
Son parcours médical, y compris non conventionnel, l’auteur l’a consigné dans un carnet de bord, qui lui sert aujourd’hui de support pour créer. « Au départ, je le faisais pour moi et ne pensais pas du tout que cela allait devenir un spectacle, confie-t-il. J’avais peur du pathos, que les gens soient obligés d’aimer, qu’ils n’aient pas un regard de spectateur, mais se sentent forcés de soutenir le malade. Et puis, l’idée du spectacle s’est imposée le jour où la neurologue m’a dit qu’aucun retour en arrière n’était possible avec la MSA. Ma maladie est, à ce moment-là, devenu un état que je ne pouvais plus me contenter de subir. Je devais vivre avec elle, dialoguer avec elle, pour ne plus simplement être son objet. »
De ce changement de point de vue est né Voyage en Ataxie, un cauchemar éveillé et lumineux, où le rire et l’émotion, l’absurde et le tragique, le vrai et le faux se mêlent allègrement, « comme si l’imaginaire devenait une porte de sortie », résume Gilles Ostrowsky. S’y croisent une ribambelle de médecins et un ami africain, un sorcier fan de Johnny Hallyday et un directeur de théâtre un peu lâche, des clowns un rien sadiques et un type assez mal à l’aise. Assis, sur scène, derrière son écran d’ordinateur, le comédien regarde ses deux comparses, Thomas Blanchard et Grégoire Oestermann, se débattre, déséquilibrés par les matelas gonflables malicieusement disposés par Clédat & Petitpierre. Le premier incarne le personnage de « G1 », sorte de vrai-faux double de Gilles Ostrowsky – qui a dû renoncer à jouer son propre rôle en raison de ses difficultés d’élocution et de déplacement ; le second endosse tous les autres avec un appétit dévorant.
Entre ces trois-là, accompagnés par la metteuse en scène Sophie Cusset, opère une symbiose, rare, où le plaisir de jouer fait plaisir à voir. Les semaines, qu’on devine exaltantes, de répétitions ont permis au trio de briser tous les murs, d’annihiler le pathos sans verser dans le cynisme, d’oser l’humour sans se réfugier dans la légèreté. « Au début, j’ai eu peur que le texte impressionne Thomas et Grégoire, qu’ils ne s’autorisent pas à s’emparer de la liberté que je leur laissais car ils n’auraient pas osé rire par rapport à moi, mais l’aventure humaine a tout emporté », se réjouit le comédien. Au fil des scènes, on passe alors, sans accroc, d’une réplique de La Traversée de Paris au langage qui irrémédiablement se dérobe, d’un jeu de mots facile sur la MSA – « ça doit pas être facile d’msa » – à l’ironie du sort d’un acteur dévoré par le clown qu’il a longtemps incarné : « La neurologue m’a dit que j’étais peut-être malade depuis toujours […] mais que mon corps compensait et que aujourd’hui c’est ma capacité à compenser qui était attaquée. Instinctivement l’acteur s’en est emparé, en a fait un personnage. Maintenant, il a pris le pouvoir, les mots s’échappent sans arrêt, je trébuche dedans, je me clownifie. »
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Voyage en Ataxie
Texte Gilles Ostrowsky
Mise en scène Gilles Ostrowsky, Sophie Cusset
Avec Thomas Blanchard, Grégoire Oestermann, Gilles Ostrowsky
Scénographie et costumes Clédat & Petitpierre
Lumière Marie-Christine Soma
Son Dayan Korolic
Chorégraphie Sylvain Riejou
Assistant Didier DugastCoproduction Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté ; Théâtre Firmin Gémier, La Piscine ; L’Odyssée, scène conventionnée, Théâtre de Périgueux
Avec le soutien du Fonds de dotation du Quartz (Brest), de la DRAC Ile-de-France au titre de l’aide au projet et du Tangram, scène nationale Evreux Louviers
Avec le soutien de l’Adami
L’Adami gère et fait progresser les droits des artistes-interprètes en France et dans le monde. Elle les soutient également financièrement pour leurs projets de création et de diffusionDurée : 1h20
T2G, Théâtre de Gennevilliers
du 10 au 14 mai 2023
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