Carnets de création (3/28). Sortie de l’Ecole du TNS en 2019, la jeune costumière et scénographe a déjà pu collaborer avec Gaëlle Bourges, Madeleine Louarn, Jean-François Auguste et Pascal Rambert, et ériger la générosité en marque de fabrique.
Opérette fait partie de ces pièces où, par le truchement de la dramaturgie, les costumes occupent une place centrale. Dans cette troublante tragi-comédie de Witold Gombrowicz, ce sont bien les habits, plus que toute chose, qui font le moine, et permettent aux seigneurs et bourgeois de se distinguer des valets, sur fond de lutte des classes larvée. Lors de sa création, en octobre dernier, au TNB, avec les élèves-comédiens de l’école bretonne et les acteurs en situation de handicap de la troupe Catalyse, Madeleine Louarn et Jean-François Auguste ne pouvaient donc pas se louper. Ils devaient choisir un·e costumier·ère de talent, capable de porter sur ses épaules cette lourde responsabilité, au risque de voir leur bel édifice s’effondrer.
Plutôt que d’opter pour un·e créateur·rice sur-expérimenté·e, ils ont, dans la droite ligne de l’ensemble de leur projet, tenté un coup de poker et jeté leur dévolu sur une costumière, Clémence Delille, qui, quelques mois plus tôt, apprenait encore les rudiments de son métier au sein de l’Ecole du TNS, faisant de son nom l’un de ceux qu’il faut désormais retenir. Dans sa façon de combiner haute couture et prêt-à-porter, cohérence d’ensemble et souci du détail, la jeune artiste a orchestré un défilé digne des meilleurs podiums. « Lorsque Laurent Poitrenaux m’a proposé de rejoindre l’équipe, j’ai tout de suite accepté car il s’agissait d’un projet complètement fou, raconte-t-elle. Or, j’aime ce type de projets généreux parce qu’ils me permettent de rencontrer des gens généreux et de confectionner des costumes généreux pour l’oeil du spectateur, comme ce fut aussi le cas avec Pascal Rambert sur Mont Vérité. »
De Gulliver à Paul Valéry
Car Clémence Delille n’en est pas, avec Opérette, à son coup d’essai. Grâce au Théâtre des trois Parques qu’elle a co-fondé avec sa grande soeur Julie, celle qui rêvait, petite fille, de confectionner des robes de mariée, avait déjà pu, avant et pendant sa formation au TNS, multiplier les collaborations, comme costumière ou scénographe, avec Gaëlle Bourges (Le Bain), Françoise Dô (Boule de suif) ou Guillaume Vincent (Love me tender) en tant qu’assistante de Lucie Ben Bâta. « J’essaie, à chaque fois, d’être la plus réceptive possible car je me rends compte que c’est comme ça qu’on me donne le plus de place, remarque-t-elle. Chercher à s’inscrire dans le travail du metteur en scène permet d’acquérir une grande confiance de sa part. Et c’est bien cela que je trouve beau car c’est là que je m’épanouis. »
Un dialogue que la créatrice, venue du monde des arts plastiques, cultive également avec les comédiens. « Je prends d’abord des photos pour travailler à partir de leur morphologie et dessine ensuite des pièces qui leur vont, précise-t-elle. Je fais aussi attention à ce qu’ils aiment ou n’aiment pas porter afin de savoir jusqu’où je vais pouvoir les emmener. » Celle qui mélange savamment les achats en friperie et en magasins de prêt-à-porter, sans oublier de fouiller dans les stocks des théâtres, tient de plus en plus à être « profondément en accord avec ce [qu’elle voit] sur le plateau » et à sélectionner « des projets qui [lui] plaisent vraiment. »
Il faut dire que de projets Clémence Delille ne manque pas, même en ces temps troublés. Après avoir travaillé, comme costumière et scénographe, sur Après Jean-Luc Godard, conçu par Eddy d’Aranjo et en cours de reprogrammation à La Commune, elle se prépare à retrouver Madeleine Louarn et Jean-François Auguste pour leur prochaine création autour de Gulliver, tout en œuvrant, au long cours, avec sa sœur Julie, sur La Jeune Parque de Paul Valéry. « Sauf que la plupart de ces spectacles étaient prévus avant la crise que nous traversons, tempère la créatrice. Alors, forcément, je m’inquiète un peu pour l’avenir et espère, comme nombre d’artistes, avoir du travail dans les mois et les années à venir. » Avec autant de talent, les metteur·e·s en scène auraient bien tort de s’en priver.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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