Bobbi Jene Smith et Or Schraiber créent Pit pour le corps de Ballet de l’Opéra de Paris, façonnant un univers étrange, lugubre, qui invoque des images connues. L’émotionnalité des gestes dialogue avec la musique de Jean Sibelius et Celeste Oram, tout en dévoilant une théâtralité aux registres poreux, entre absurde et lyrisme kitsch.
Une grande estrade aux airs de stèle funéraire occupe toute la scène de Garnier. L’ambiance est lugubre, entre archive ghetto de Varsovie et dystopie façon La Servante Écarlate. Les accents fantastiques du Concerto pour violon de Jean Sibelius, se mêlent à la composition de Celeste Oram et résonnent dans la fosse d’orchestre. Pit, qui signifie fosse, gouffre, abîme en anglais, est d’ailleurs le titre de la dernière création de Bobbi Jene Smith et Or Schraiber. Ces deux chorégraphes formés à la Batsheva, complices de l’Isréalien Ohad Naharin, créent un univers étrange parsemé d’impressions de déjà-vu.
Des femmes et des hommes, en tenue de ville, sobre et un poil vintage évoluent autour du grand plateau, devant un fond gris désolé. S’enchaînent avec fluidité une multitude de saynètes, sans lien apparent, mais qui interpellent : les interprètes se précipitent sur un tas de chaussures, s’évadent à quatre pattes sur le devant de la scène, font la queue pour poser un tas de terre sur un bureau. Ces moments théâtraux, où la porosité des registres est troublante, oscillent entre la gravité de l’atmosphère, absurde, malaise et comique, à l’instar des fesses nues d’une prêtresse solennelle en robe rouge, que l’on découvre quand elle se retourne. Le violoniste soliste Petteri Iivonen participe aussi à cet ensemble étrange, sorti de la fosse, il joue sur la scène à jardin. Sans crier gare, se dessinent des faux airs du Tanztheater de Pina Bausch. Mais peut-être n’est-ce que les chaises et les talons aiguilles ?
La danse n’y est pas en reste. Elle envahit à plusieurs reprises le plateau, avec des ensembles saisissants, où plusieurs groupes se croisent et s’entremêlent. On y retrouve l’intensité viscérale qui caractérise la Batsheva, son émotionnalité qui prend aux tripes, qui découle à coup sûr de la technique gaga développée par Ohad Naharin, qui favorise sensorialité et libération des affects. Les colonnes vertébrales ondulent, les gestes liés, fluides, amples mobilisent les omoplates, sont constellées de ruptures façon stop-motion et façonnent l’expressivité de ce ballet théâtral intense. Malgré cette écriture ciselée, autant dans la texture des gestes que la spatialité, l’ensemble bascule dans un lyrisme kitsch. On en retient un éparpillement d’images déjà-vu, tant dans le geste que dans la scénographie, dont on peine encore à saisir la ligne directrice et l’originalité.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Pit de Bobbi Jene Smith et Or Schraiber
Chorégraphie
Bobbi Jene SmithChorégraphie
Or SchraiberMusique
Celeste OramDirection musicale
Joana CarneiroViolon solo
Petteri IivonenDécors
Christian FriedlanderLumières
John Torres
Avec
Clémence Gross,
Caroline Osmont,
Juliette Hilaire,
Laurène Levy,
Marion Gautier de Charnacé,
Awa Joannais,
Héloïse Jocqueviel,
Alexandre Gasse,
Jack Gasztowtt,
Axel Ibot,
Adrien Couvez,
Yvon Demol,
Mickaël Lafon,
Maxime Thomas,
Hugo Vigliotti,
Takeru Coste,
Théo Ghilbert,
Julien Guillemard,
Loup Marcault-Derouard,
Antonin MoniéAvec le Corps de Ballet de l’Opéra national de Paris
Orchestre de l’Opéra national de ParisDurée 1h
Palais Garnier
du 17 au 30 mars 2023
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