C’est dans le cadre du Festival Tournée Générale, festival d’art vivant dans les bars du 12ème arrondissement qui amorce fièrement sa quatrième édition que nous avons découvert cette forme singulière signée Pablo Dubott. Product prend appui sur la pièce de Mark Ravenhill pour créer une intervention in situ étonnante entre performance et cabaret.
Juché sur des talons aiguilles rouge clinquants, arborant crête sur la tête et barbe noire taillées avec style, vernis bicolore et maquillage appuyé, Spike alias Pablo Dubott est une créature atypique et extravagante, entre le punk et le travesti, une invention du corps et de l’esprit qui promène sa gouaille à l’accent coloré et sa silhouette sexy dans les bars hospitaliers du Festival Tournée Générale. L’ambiance est à la décontraction, à la proximité, à la convivialité ce soir de canicule où nous découvrons ce “work in progress” et la personnalité charismatique de Pablo Dubott.
En s’appuyant sur la pièce de l’auteur britannique Mark Ravenhill, le comédien, performeur, metteur en scène, auteur et chercheur sur les questions de genre au théâtre, s’empare, texte en main, de ce monologue déguisé en dialogue pour en extraire tout le potentiel performatif. Son adaptation ne tend pas à faire théâtre mais officie avec un goût du risque revendiqué du côté de l’acte performatif unique et renouvelé, remis en jeu à chaque représentation. Sans filet, au plus près des spectateurs attablés ou accoudés au comptoir, Pablo Dubott nous entraîne dans la logorrhée infernale d’un producteur s’adressant à une actrice dans le cadre d’un casting pour lui présenter son film et le rôle. S’écoutant parler, conscient de son statut et du pouvoir qu’il implique, jouant et jouissant de sa posture de domination, il se lance dans le récit du scénario avec fougue et arrogance.
Face à lui, l’actrice, intimidée, recroquevillée dans l’écoute mais prête à bondir dès qu’elle peut enfin en placer une. C’est dans ce jeu d’adresse que s’opère la dramaturgie imaginée par Pablo Dubott. Dans ce hiatus aux airs de gouffre. En effet, là où dans la pièce, le producteur s’adresse en direct à l’actrice seule face à lui dans un huis clos malaisant et oppressant, Pablo Dubott décide de démultiplier cette adresse et la fait naviguer de la comédienne à ses côtés au public face à lui. Sachant que dans un contexte de bar, le rapport scène/salle n’a plus lieu de la même façon qu’au théâtre, les espaces s’interpénètrent, le public est mobile autant que l’artiste et la comédienne est ici cueillie parmi les spectateurs. Les frontières sont brouillées, on ne sait plus ce qui est fiction, ce qui est vrai et la mise en abyme du film raconté ajoute une couche à cette mise en perspective de la pièce.
Quant à la comédienne qui joue l’actrice marionnette entre les mains de l’infernal producteur, elle change à chaque représentation, parachevant le contexte performatif. Le duo se réinvente à chaque fois, la relation se redéfinit en fonction de chaque personnalité invitée, de son bagage théâtral et de sa discipline phare, qu’elle vienne du théâtre, de la danse, du mime, du clown, des arts plastiques ou du chant. Product ne se ressemble donc jamais vraiment, il joue sur la corde raide de son dispositif, et la version vue en amont n’est pas la même que celle qui aura lieu fin juillet, à la mi-temps de l’été. Nouvelle comédienne, nouveau lieu, les cartes seront rebattues et c’est là tout l’intérêt de cette performance tonitruante et décomplexée qui vient questionner bon nombre de sujets encore d’actualité (le texte date de 2005).
L’esthétique de cabaret queer avec changements de costume à vue, paillettes et confettis au menu, intermèdes musicaux où Spike en profite pour faire le show, lever la jambe très haut, se déhancher à gogo et nous séduire illico, participe de cette forme en interactivité et du voyeurisme issu du dispositif. Après cet avant-goût au Bistrot de Juliette en juin, on a hâte de revoir cette forme évolutive sous un autre jour et dans une autre configuration. Tout le sel du spectacle vivant, tout le charme de Pablo Dubott et le caractère passionnant de la démarche de Tournée Générale.
Marie Plantin pour Sceneweb
Product
De Mark Ravenhill
Conception, mise en scène, interprétation : Pablo Dubott
Invitée du 31 juillet : Odja LlorcaDurée 1h
Le 31 juillet à 20h
Au Bon Coin
40 Rue Claude Decaen
75012 PARISDans le cadre du Festival Tournée Générale, du 28 au 31 juillet 2022
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