Aux Bouffes du nord, Jeanne Desoubeaux revisite le mythe d’Orphée qu’elle féminise et modernise dans une forme de spectacle concertant à l’esthétique poético-fantomatique où s’assume un détonnant mélange stylistique.
C’est sur les mélodies sirupeuses et les rythmes acidulés de tubes phares de variété française empruntés à Marc Lavoine ou Johnny Hallyday que s’ouvre une pétillante fête de mariage. Sur une estrade décorée de guirlandes de fleurs et de lampions virginaux, un jeune quatuor de chanteurs et musiciens multi-instrumentistes pousse la chansonnette. Leur fameux tour de chant et de chauffe, qu’on ne peut être plus éloigné des élans noblement doloristes de Christoph Willibald Gluck, laisse place aux traditionnels discours rendant hommage au couple consacré. Une des chanteuses quitte inopinément la scène pour réapparaître, après l’arrêt brutal des réjouissances et l’intervention des pompiers, sur un brancard mortuaire. C’est ainsi que s’articule le lien avec l’histoire d’Orphée, héros antique, endeuillé le jour même de ses noces alors que sa jeune épouse mordue par un serpent finit dans les limbes des Enfers où il devra tenter de l’extirper.
Sur la scène des Bouffes du nord où le duo Jeanne Candel et Samuel Achache a déjà proposé une vision volontiers excessive, foutraque et bouillonnante de la catabase d’Orphée et Eurydice d’après L’Orfeo de Claudio Monteverdi, Jeanne Desoubeaux choisit de se référer à l’œuvre que Gluck compose plus d’un siècle et demi après, et prend le parti d’un geste plus sensible et dépouillé. Accompagnée aux claviers, à la basse et au violoncelle, la partition est largement resserrée et épurée, au point de perdre son plus fameux air (« J’ai perdu mon Eurydice »). Les arrangements musicaux proposées semblent aussi audacieux qu’insoucieux et sont peu avares en mélanges stylistiques qui heurtent quelque peu (surtout au début) la solennité et le dramatisme de l’intrigue et de la musique. Chez Gluck déjà, quand le rôle-titre n’est pas pris en charge par un contralto, deux cantatrices incarnent les rôles principaux. Ici, c’est bien un couple de femmes qui est mis en avant. La soprano Agathe Peyrat chante Eurydice avec de véritables moyens vocaux d’opéra tandis que Cloé Lastère fait une impuissante et affligée Orphée, sans avoir recours à une projection lyrique mais en chantant de son beau filet de voix naturel dans un micro à fil. L’équilibre se maintient. Fragiles et diaphanes, les deux héroïnes font alors pleinement entendre les accents poignants et étreignants de l’œuvre, parfois trivialisée, parfois sublimée.
Scéniquement, le vide causé par la perte est bien palpable. La forme proposée est assez mince mais sincère. Elle manifeste une recherche de beauté et un réel souci de lisibilité. D’épaisses volutes de fumée et des voiles aériennes, dont la blancheur livide donne un aspect spectral au plateau baigné d’obscurité, figurent le Royaume des morts. Un piano à queue est tiré comme un lourd corbillard. Pourtant l’humour n’est pas absent, à commencer par la façon dont l’amour est doublement personnifiée sous les traits d’angelots nus chantant leur ritournelle. Voilà comment se réinvente à nouveau le mythe éternel d’Orphée, passionnant et toujours concernant, entre drame et légèreté.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Où je vais la nuit
D’après l’opéra Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck
Mise en scène Jeanne Desoubeaux
Costumes et scénographie Cécilia Galli
Collaboration artistique et musicale Martial Pauliat
Création musicale et arrangements Jérémie Arcache, Benjamin d’Anfray et Agathe Peyrat
Création lumières Thomas Coux
Création son Warren Dongué
Régie générale Jori DesqAvec Jérémie Arcache, Benjamin d’Anfray, Cloé Lastère, Agathe Peyrat
Production Compagnie Maurice et les autres
Coproduction Théâtre de l’Union CDN de Limoges (87) ; Scène Nationale d’Orléans (45) ; Théâtre de Thouars (79) ; Les 3T Châtellerault (86) ; Le Gallia, Saintes (17) ; OARA – Office artistique de la région Nouvelle-Aquitaine.
Avec le soutien du Théâtre de Lorient, Centre Dramatique National (56), du Théâtre du Cloître, Bellac (87) en partenariat avec la Ferme de Villefavard en Limousin (87), de L’Abbaye aux Dames de Saintes (17), de L’École de la Comédie de Saint-Étienne / DIESE# Auvergne-Rhône-Alpes.
Avec l’aide à la création de la DRAC Nouvelle-Aquitaine.
La compagnie Maurice et les autres est soutenue et financée pour son projet par la Région Nouvelle-Aquitaine.Durée : 1h15
Théâtre de l’Union CDN de Limoges
Du 11 au 14 janvier 2022Les 3T, Scène conventionnée de Châtellerault
18 et 19 janvier 2022Le Gallia Théâtre
3 et 4 février 2022Bouffes du Nord
Du 31 mars au 17 avril 2022
Du mardi au samedi à 20h30
Matinées les dimanches à 16hLa Manufacture, CDN de Nancy, en coréalisation avec l’Opéra National de Lorraine, Nancy
Du 27 au 29 avril 2022Biennale Là-Haut à Saint-Omer
Le 3 juin 2022
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