La 82 e promotion des étudiants de l’ENSATT présente jusqu’au 5 juillet son spectacle de fin d’études aux Nuits de Fourvière à Lyon, fruit d’une collaboration avec le Market Theatre Laboratory de Johannesbourg. Et d’un disposif à l’international ambitieux pour l’école lyonnaise.
De quelle guerre suis-je le produit ?Cette question vertigineuse est celle posée aux étudiants de la 82epromotion de l’ENSATT (Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre) et du Market Theatre Laboratory de Johannesbourg par Leyla-Claire Rabih, metteuse en scène française, et son homologue sud-africaine Kgomotso MoMo Matsunyane dans le cadre d’une collaboration artistique entre les deux établissements. Les futurs comédiens français ont passé trois semaines de résidence au sein de ce célèbre théâtre où se forme une jeunesse défavorisée, éloignée du monde de l’art. Trois autres semaines, cette fois-ci à Lyon, et voici ce spectacle inscrit dans la programmation des Nuits de Fourvière, clôturant trois années de formation. Drôle, sincère, inventif, Leur silence n’a laissé que des gages (Their silence left us nothing but tokens, en anglais) déploie une double narration, en français et en anglais, autour des conflits ayant construit les interprètes.
Dans la salle de l’ENSATT, trois rangées de gradins font face à la scène. Des estrades en bois empilées, 4 chaises noires et des voix. Une, deux, trois… puis un chœur tout entier. Les projecteurs illuminent peu à peu les visages, dévoilant les 11 comédiens, 5 Français et 6 Sud-africains. Au-dessus d’eux, un écran projette la traduction de leurs paroles. Le spectacle est bilingue et parfois plus, certains s’exprimant dans leur langue maternelle. Loin d’en pâtir, la pièce ouvre une narration multiple confinant à l’universel. « La question du langage s’est posée d’emblée, explique en aparté Mashoto Mphahlele, étudiante du Market Lab Theatre. Mais grâce à Murielle [Huet], qui traduisait tout ce qui était dit en français, nous ne nous sommes jamais sentis perdus. » Son camarade Mlungisi Ishobeka ajoute : « en Afrique du Sud, nous parlons évidemment anglais, c’est la langue à travers laquelle nous apprenons le métier d’acteur. Mais pour aucun d’entre nous, il ne s’agit de notre langue maternelle. Le pays possède 12 langues officielles, 11 autres que l’anglais. »
Cette contrainte, les étudiants français et sud-africains l’ont intégrée dans leur jeu. « A Johannesburg, comme les gens n’allaient pas comprendre nos paroles, il a fallu trouver une autre manière de jouer, différente de celle de la France où tout est dans les mots. L’expression passe alors davantage par le corps, analyse Salomé, étudiante à l’ENSATT. Cette expérience m’a libérée, je me suis rendu compte que le sens passait autrement : par la présence. »
Sur scène, les corps parlent avant les voix. La quête identitaire se vit physiquement, plongeant les personnages dans des états de transe où les respirations s’accidentent jusqu’à la suffocation.
Leur silence n’a laissé que des gages rassemble les vécus de chacun avec plus ou moins de liberté face au réel. Les confidences, qui tendent vers le témoignage formel ou vers la satire humoristique, ont représenté la partie la plus difficile du projet. Se livrer sans faillir, gérer ses émotions pour voir aboutir la représentation : « nous avons dû faire appel à la face sombre de notre être pour réaliser ce projet, évoquer en toute confiance nos traumatismes, nos histoires personnelles », confie Mlungisi Ishobeka. « Il était très important d’établir un safe space [un espace sécurisé] », complète Victor Grenier. Le comédien appréhendait grandement ce travail avec les étudiants de Johannesbourg. Grâce à la confiance établie très rapidement, les inquiétudes ont disparu.
En résulte une authenticité imprégnant ce spectacle plein de potentiel. Certes la narration additionne plus qu’elle ne lie les histoires. Mais n’est-ce pas l’engagement qui prime ? Celui d’une jeune génération de comédiens au talent déjà bien présent, à même de laisser poindre ses tourments et d’ouvrir des réflexions nouvelles, comme autant de carburant pour nourrir le théâtre de demain.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Their silence left us nothing but tokens / Leur silence n’a laissé que des gages
Mise en scène : MoMo Matsunyane et Leyla-Claire Rabih
Jeu : Limpho Didi Mphuti, Victor Grenier, Carla Guffroy, Mateo Héritier, Salomé Lavenir, Lebohang Lephatsoana, Neo Maloi, Mashoto Mphahlele, Andiswa Ngcobo, Kerwan Normant et Mlungisi Tshobeka
Conception costume : Alma Bousquet
Atelier costume : Apolline Coulon, Emma Euvrard, Angèle Glise, Mathilde Hacker, Lola Le Cloirec, Lola Pacini et Manon Surat
Régie costume : Inès Forgues
Assistanat – régie costume : Emma Euvrard
Conception lumière : Nicolas Zajkowski
Technique lumière : Inès Guillon et Joséphine Nogue
Conception scénographie : Louise Caron
Construction : Lior Hayoun, Laura Kerharo, Ghil Meynard et Lisa Porteix
Conception son : Théo Rodriguez-Noury
Régie générale : Sharleen Fort et Eva Richon
Renforts techniques : Rachel Aroutcheff, Emmy Barrière, Pomme François-Ferron, Clélie Meynadier, Mathilde Robert et Naelle Vallet
Divers renforts : Emma Chabaud et Ninon Clément
Traductrice : Muriel HuetDurée 1h20
Nuits de Fourvière, Lyon
ENSATT
4, rue Soeur Bouvier
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