La 76e édition du Festival d’Avignon sera la dernière d’Olivier Py. Le metteur en scène passera le relais au soir du 26 juillet à Tiago Rodrigues. Il renoue cette année avec des épopées fleuves, comme Ma jeunesse exaltée, sa dernière pièce autour du mythe d’Arlequin qu’il présente au Gymnase Aubanel.
Comment vous avez envie de la vivre cette édition ? Encore plus intensément que les précédentes ?
Chaque édition a été particulière et aucune n’a ressemblé à la précédente. Et on ne sait jamais très bien ce qui va arriver. Donc je me prépare comme pour les autres, comme à un grand combat spirituel. Et puis, advienne que pourra. Non, je n’ai pas tellement pensé à ce qui pourrait arriver à la fin de cette édition. J’ai fait du déni. Je fait l’autruche. Je n’ai pas pensé à la suite.
Vous êtes en plein travail, en pleine répétition de la Jeunesse exaltée, votre nouvelle grande série théâtrale. Est-ce que c’est ce qui vous permet de ne pas penser à la suite ?
Oui, je comprends mieux pourquoi, ces dernières années, je m’étais interdit de faire une pièce de 10 heures. Parce que pour moi, c’est pathétique, je voulais survivre.
Comment se déroulent les répétitions ?
J’ai une troupe qui est exceptionnelle. Je pense notamment aux jeunes. On ne peut plus croire qu’en la jeunesse. Ils sont extraordinaires.
Dans cette jeunesse exaltée, il y a un personnage central, c’est Arlequin. Vous n’aviez jamais abordé ce personnage au théâtre, pourquoi ?
J’ai toujours détesté les Arlequins. Quand j’étais au conservatoire, je les détestais. Donc j’ai mis quelques années à assumer ce personnage qui est l’image la plus rebattue, la plus usée et la plus délavée du théâtre. Et c’est justement ce qui m’intéresse. Est ce que on arriverait à redonner sens à un lieu commun ? Et puis il y avait Bertrand de Rouffignac qui joue ce rôle d’Arlequin et qui, aujourd’hui, on peut le dire, est le rôle le plus long de tout le répertoire. Il a travaillé un an sur ce personnage, physiquement, mentalement, intellectuellement, culturellement. Arlequin, c’est aussi celui que j’ai été quand j’étais jeune et joli. Et maintenant, je suis un vieil Arlequin. Il n’y a rien de plus sinistre qu’un vieil Arlequin.
Et tout cela dans un décor qui vous a porté chance ? Le décor de La Servante.
Dans un lieu qui est le gymnase Aubanel, qui n’est pas un lieu prestigieux, qui n’est qu’un gymnase transformé plus ou moins en théâtre avec des fuites d’eau, mais dans lequel j’ai des souvenirs, dans lequel j’ai vécu ma jeunesse exaltée, c’est à dire avec La Servante. Et avec Pierre-André Weitz, mon fidèle compagnon, pour la première image, on a repris l’emblématique Servante, cette petite lampe au cœur d’un théâtre de bois.
De la Russie à l’Ukraine, de l’ouverture à la fermeture, le Festival d’Avignon sera traversé par toutes les tragédies du monde et on pourra y croiser des artistes de toute la planète qui viendront du Liban, d’Afrique…
C’est ce que nous avons essayé de concevoir avec les équipes du festival, que le festival ne soit pas uniquement une liste de spectacles mais qu’il soit l’image du monde qui respire, parce que on ne pourra pas changer le monde. On n’arrêtera pas d’ici l’invasion Russe en Ukraine. Mais pendant trois semaines dans cette ville, on aura fait du théâtre pour essayer de penser ensemble à la violence du monde qui, cette année, est absolument inouïe.
L’invitation à Kirill Serebrennikov a été lancée bien avant l’invasion de l’Ukraine. ? Est-ce aujourd’hui le signe qu’il ne faut pas laisser tomber les artistes russes ?
Non, c’est pas un signe puisqu’on avait programmé sa venue il y a deux ans, mais à l’époque, on ne savait même pas s’il serait libéré puisqu’il était assigné à résidence dans un procès ubuesque qu’on lui a intenté parce qu’il était clairement un opposant à Poutine, défenseur des droits LGBT et des droits en général. C’est un homme qui a payé très cher sa liberté. J’entends quelquefois des gens ici et là émettre des réserves sur la présence d’un Russe dans la Cour dans ces conditions. Mais si ces gens là avaient eu le courage de Kirill ces trois dernières années, le monde serait sans doute différent.
Si on devait mettre quelques qualificatifs sur cette édition, sur cette dernière édition, quels seraient-il ?
Ce sera un feu d’artifice. Et à vrai dire, en dépit de tout ce que j’ai pu dire, de cet état de commotion en Europe et en Ukraine, je la trouve assez joyeuse avec une énergie retrouvée post Covid, mais on est toujours dedans et toujours en danger sur le sanitaire, mais en tout cas, on a envie de revivre. Et cette envie de revivre s’exprime fortement sur les plateaux et particulièrement dans la jeunesse qui fera le théâtre de demain.
Au fil des éditions, le festival a changé avec la société. Pensez-vous qu’il soit fragile ?
La force du festival, c’est d’abord son public. Le festival est fragile financièrement. Il est fragile politiquement. Il est à la merci de n’importe quelle élection. Si demain le Rassemblement National remportait plus de voix encore qu’il n’en a sur le territoire, le festival pourrait être détruit. Tout le monde pense qu’il est très puissant, il ne l’est pas. Son mythe est très fort et résonne très fort à travers le monde. Mais il ne tient que parce qu’il y a des hommes et des femmes qui réservent leurs billets des semaines à l’avance et qui font la queue pour voir les spectacles, qui font confiance à la direction pour aller vers l’inconnu. Merci encore une fois à ce public. Nous n’existons que par rapport à eux. Ce n’est pas de la démagogie de dire ça. Je l’ai constaté d’années en années.
On a évoqué La jeunesse exaltée. Il y a aussi un grand spectacle de Simon Falguières, Le Nid de Cendres. Une épopée de 15 heures. C’est ça aussi la beauté de ce festival créé en 1947 par Jean Vilar ?
Oui, et c’est grâce à Peter Brook, avec son Mahabharata. C’est lui qui a inventé cette forme et qui a fait confiance au public. Quand on a une exigence pour le public, et bien on l’honore. En tout cas, c’est comme ça que ça se passe au Festival d’Avignon.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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