Et que mon règne arrive, pièce écrite par la camerounaise Léonora Miano et mise en scène par la comédienne burkinabè Odile Sankara est un texte pamphlétaire pour clamer toute l’importance des femmes dans les sociétés africaines. Créée en 2021 aux Francophonies en Limousin – Les Zébrures d’automne, la pièce revient en France à la MC93 de Bobigny et à FARaway – Festival des Arts à Reims.
La scène est pour vous un moyen de défendre la parole. Comment avez-vous reçu l’accueil à Limoges ?
C’est un cadeau sur un plateau en or et pour moi, c’est un tournant. Je remercie Les Francophonies et son directeur Hassane Kassi Kouyé de me donner cette opportunité. On me connaît beaucoup comme comédienne et les enjeux étaient énormes. Léonora Miano a accepté de faire le cheminement avec moi. C’est un risque car je ne suis pas connue comme metteuse en scène. C’est un pur bonheur parce que ce texte me parle à plusieurs endroits. C’est une parole de l’intérieur, dans l’intimité de l’Afrique.
Comment pouvez-vous définir l’écriture de Léonora Miano ?
On sent le génie de cette femme. Elle est connue comme littéraire. Quand j’ai regardé la structure, je me suis demandé comment j’allais trouver la ligne dramaturgique. Elle écrit avec des strates. Elle n’écrit pas au premier degré. Et du coup il faut aller en profondeur parce qu’elle est hautement spirituelle, ancrée dans des valeurs fondamentales africaines. Pour nous, ça a été jouissif dans le travail de table, puis dans le décryptage du texte sur le plateau. Il a fallu bousculer nos propres codes. Pour les comédiens, les appuis de jeu n’étaient pas les mêmes. Léonora Miano est dans la révolte. Les personnages portent beaucoup de douleur. Ils sont psychiquement détruits, mais elle écrit avec beauté, avec force, avec élégance.
Comment avez-vous réagi quand vous avez lu pour la première fois le texte ?
Au début j’ai eu peur. Je me suis dit que je ne pourrai jamais y arriver. On a discuté. Elle l’a repris, mais elle m’a dit qu’elle ne toucherait pas à la structure. Elle a apporté quelques situations en plus. Elle a fait des pamphlets à l’intérieur et c’était sublime.
Dans cette structure composée à la fois de pamphlets et de dialogues, comment avez-vous imaginé la mise en scène ?
Je me suis dit qu’il ne fallait pas détruire la structure. Cette femme n’est pas bête. Il fallait donc que je ne lui fasse confiance. J’ai souhaité composer des tableaux avec des scènes indépendantes les unes des autres, comme des petites touches de peinture.
Quand vous lui avez passé commande de ce texte, était-il déjà question de parler de la femme en Afrique ?
Pas forcément. Je ne lui avais pas donné de thème. Je lui avais juste dit que je voulais de la beauté avec des femmes puissantes sur le plateau parce qu’il en manque dans le théâtre contemporain. Des femmes qui prennent la parole à un endroit précis, qui parlent de nous. La tragédie contemporaine est terrible. Je veux aussi parler de la beauté, parce que ce n’est pas possible que la tragédie obstrue la beauté alors qu’elle nous entoure. Et elle m’a dit : « Tu sais j’ai un sujet qui me taraude, alors je vais me répéter, ça ne te dérange pas ? » Je lui ai fait confiance.
Ces paroles très fortes parlent du poids du rôle de la femme en Afrique.
Dans l’Afrique ancestrale et même contemporaine, comme au Burkina Faso, sur trois foyers, deux sont tenus par des femmes. Même dans la petite économie familiale, ce sont les femmes qui portent l’éducation. Il y deux maillons forts dans la longue chaîne de l’humanité : l’éducation et la transmission. Et ce sont les femmes qui sont au cœur de cela en Afrique. L’organisation sociétale et politique traditionnelle est tenue par les femmes et même dans les sociétés secrètes, les clés sont tenues par les femmes. C’est quelque chose qui est de l’ordre de l’intime qu’on ne voit pas. Nos sociétés sont bien organisées, mais c’est vrai, elles manquent de beaucoup de droits, elles n’ont pas d’autonomie financière. Et je pense comme elle l’écrit que « la terre et la maison doivent revenir aux femmes ».
Cela dit, politiquement, ce ne sont pas les femmes qui tiennent les rênes en Afrique, ce sont les hommes.
Malheureusement les hommes ne sont pas prêts de lâcher prise. Le Liberia avait donné l’exemple avec la Présidente Ellen Jonhson Sirleaf. Elle a bien conduit le navire, donc c’est possible. Il y a des femmes qui sont capables de prendre les rênes du pouvoir, mais je ne crois pas que les mentalités soient prêtes.
Vous, la politique, ce n’est jamais quelque chose qui vous a intéressé ?
Je n’étais pas aguerrie à la politique. La révolution au Burkina nous a certes galvanisés. Les femmes ont commencé à prendre les devants de la scène politique, avant personne n’y pensait, c’était réservé aux hommes. Alors non, j’ai fait à l’université une option en arts du spectacle. J’ai rencontré des grands auteurs. Et de là est partie mon inspiration pour aller vers le théâtre. C’est l’endroit pour moi, en tant que femme d’exister en prenant la parole à un niveau plus élevé sur un plateau. Je trouve que c’est l’endroit de la vérité parce qu’on ne peut pas tricher avec le public. On peut porter des choses que les gens ne peuvent pas dire, des souffrances infligées à nous les femmes qui sommes toujours emmurées, qui n’osons pas prendre la parole. Et pour moi le théâtre a été une révélation, même si cela n’a pas été facile au début, mais cela fait 30 ans que cela dure ! Au début, même la famille, la communauté, les amis et tout le monde me condamnait et me disait : « Pourquoi avec tes diplômes tu ne vas pas chercher du travail ? »
Vous parliez de la vérité du plateau. D’où l’importance que votre pièce soit vue partout et notamment chez vous en Afrique pour que le public féminin et le public masculin entendent cette parole ?
Je vais travailler de toutes mes forces parce que Léonora Miano m’a fait un cadeau et je dois faire retentir cette parole chez nous, en Afrique, pour que le débat se pose et qu’il soit porté publiquement. Les lionnes se trouvent seules dans des sables mouvants. Vont-elles faire des lionceaux avec des gnous, des sangliers, des batraciens ? Non. Il faut qu’on soit ensemble pour avancer et poser les vraies questions.
On vous connaît en France comme comédienne depuis des années, vous avez travaillé avec de grands metteurs en scène comme Jean-Louis Martinelli. Diriez-vous que les scènes françaises ont changé et qu’elles sont plus diverses ?
Oui, elles ont beaucoup évolué, et je crois que les choses continuent d’avancer. Il y a une prise de conscience. Il y a eu de la revendication et des combats. Et Jean-Louis Martinelli a ouvert son théâtre à l’Afrique quand il est arrivé aux Amandiers. Il a eu de l’audace. Il y a eu une grande avancée là-dessus, on ne peut pas le nier, même si on ne va pas tous remplir toutes les salles de théâtre. Mais il faut le saluer.
Propos recueillis par Stéphane Capron – www.sceneweb.fr
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