À l’affiche de la dernière création de Baptiste Amann, Lieux communs, présentée au Festival d’Avignon, la comédienne donne l’impression que tout lui sourit. Pourtant, c’est à force de travail, de courage, et grâce à une pointe d’audace, qu’elle a pu passer de championne de football professionnelle à actrice pleine de promesses, jouant pour la deuxième fois dans la Cité des papes, à tout juste 35 ans.
Entourée de ses amies rencontrées à l’École du Théâtre national de Strasbourg (TnS) et de Charlotte Issaly, avec qui elle partage la scène dans la dernière création de Baptiste Amann, Lieux communs, présentée au Festival d’Avignon, Océane Caïraty ne tarde pas, lorsqu’on l’interroge, à replonger dans son enfance réunionnaise. À huit ans, elle jouait déjà au foot avec ses deux grands frères. À Saint-Denis de La Réunion, le théâtre semble loin aux yeux de la petite fille, qui rêve plutôt devant des films américains. Sans grande surprise, son préféré est Joue-la comme Beckham de Gurinder Chadha, où une fillette britannique, d’origine pendjabie et de confession sikhe, rejoint, sans l’accord de ses parents, une équipe de foot féminine. Presque comme elle.
Devenue footballeuse professionnelle après s’être fait repérer et avoir quitté son île natale, à l’âge de 15 ans, pour rejoindre le centre de formation de l’Olympique Lyonnais, elle concède avoir passé « seulement deux ou trois ans dans le rêve ». « On gagnait presque tout », assure-t-elle, comme l’atteste le triplé de son équipe au championnat de France en 2007, 2008 et 2009. Deux ans avant d’arrêter, en 2010, elle ne ressent déjà « plus rien, même plus de joie » sur le terrain, mais le club « a investi sur [elle] », alors elle continue. Elle sait déjà qu’elle veut être actrice dans des films hollywoodiens, voire bollywoodiens, attirée par « la danse, et le chant aussi ».
Aux tours de terrain, elle préfère désormais les cours d’improvisation théâtrale qu’elle a trouvés en tapant « cours de théâtre » dans la barre d’un moteur de recherche. Au premier entraînement de sa troisième saison, elle se change, se rhabille, puis jette ses crampons à la poubelle avant d’annoncer à son entraîneur qu’elle arrête. Elle est surprise d’obtenir son BTS communication qu’elle poursuivait en parallèle – « alors que c’était vraiment juste une planque », avoue-t-elle – pour rassurer sa famille qui ne considérait alors le théâtre que comme « un loisir ».
Le théâtre comme un sport collectif
Libérée, elle monte à Paris où elle habite en coloc dans le 18e arrondissement, non loin du théâtre de La Colline où elle ne mettra jamais les pieds. « Le théâtre c’est comme si ce n’était pas fait pour moi », se souvient-elle, à demi-mots. Pendant deux ans, elle fait « tous les petits boulots qui existent » afin de payer son loyer, mais aussi ses cours de théâtre dans une école privée, Acting International. Pour son premier rôle dans un théâtre privé, elle incarne… Marine Le Pen, mais le niveau ne satisfait pas ses attentes et la comédienne sait, déjà, qu’elle est capable de faire mieux. Le cinéma est plus proche de ce qu’elle connaît, alors elle se dirige d’abord vers lui à défaut d’avoir été exposée à l’art dramatique en grandissant.
Pour autant, cette expérience l’amène à penser le théâtre comme un sport collectif, même si, du parallèle entre théâtre et foot, qu’elle est souvent invitée à dresser, Océane Caïraty souligne rapidement les limites. « Au théâtre, la dépense physique n’est pas aussi intense alors que la dépense émotionnelle, elle, n’y est même pas comparable. » À l’issue des représentations, elle avoue avoir hâte de se reposer, son âme étant « comme essorée » après avoir tant donné dans son jeu. Pour tenir ce rythme effréné, elle a « son endroit », comme elle l’appelle : la poésie.
Cette dernière semble d’ailleurs lui porter chance puisque c’est avec des vers de Prévert, extraits de Lumière d’Hommes, qu’elle a décroché sa place dans le programme gratuit qui lui ouvrira en grand les portes du monde du théâtre, Ier Acte, dans lequel des professionnels offrent leur expertise à de jeunes talents. Pour candidater à ce dispositif, réservé aux moins de 24 ans, Océane Caïraty avoue aujourd’hui avoir menti sur son âge, plus proche à l’époque des 26, et a très vite eu peur d’être démasquée. Pendant son audition, elle n’est pas « traqueuse ». Son corps sait gérer le stress, il en a l’habitude. « La gestion d’énergie sur scène quand tu joues des pièces super longues, c’est comme quand tu joues un match de 90 minutes. » Son désir de jouer a pris le dessus sur son manque d’expérience et elle a su convaincre les membres du jury de Ier Acte, tout comme ceux de l’École du TnS, qu’elle intègre quelques mois plus tard.
Vers le Festival d’Avignon
Grâce à ce programme, elle vit son premier Festival d’Avignon à 27 ans, et comprend que c’est du théâtre avec un grand T qu’elle veut faire. Elle y rencontre deux metteurs en scène, Tiago Rodrigues et Baptiste Amann, qui vient y présenter sa trilogie, Des territoires. Tous les deux se révèleront très importants pour sa carrière puisqu’ils l’amèneront à se produire chacun leur tour dans la Cité des papes. Le premier, en 2021, dans La Cerisaie qui, cette année-là, a les honneurs de la Cour. Océane Caïraty y campe le rôle de Varia aux côtés d’Isabelle Huppert. « L’expérience de la Cour, c’est très dur, concède-t-elle. Durant toute l’exploitation, notre meilleure prestation aura aussi été la plus difficile puisqu’elle a été interrompue par l’orage, la pluie et le vent. »
Dans le cadre du 78e édition Festival d’Avignon, elle joue sous la direction de Baptiste Amann dans Lieux Communs, où elle incarne trois rôles. Elle dit préférer incarner celui de Farah, ancienne avocate en reconversion dans un atelier de restauration d’œuvres d’art, et puise en elle pour trouver le chemin qui donnera vie à ce personnage. Comme Farah, elle est en empathie et à l’écoute, mais n’a pas peur pour autant d’exprimer ce qu’elle pense. En duo avec Pascal Sangla, ils nous livrent un dialogue non pas entre eux, mais avec le public, où leurs mots deviennent de la poésie alors qu’ils sont empreints d’une violence inouïe. « Quand je suis sur scène, je ne relie pas mon jeu avec ce qu’il se passe dans le réel, mais j’essaye de créer un autre espace, de rester dans la fiction », conclut la comédienne.
Candice Fleurance – www.sceneweb.fr
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