Entamée le 4 mars, à l’issue d’une manifestation du monde de la culture, l’occupation du Théâtre de l’Odéon se poursuit. La mobilisation s’est étendue à tout le territoire. Il y a désormais une centaine de lieux culturels occupés en Métropole et en Outre-Mer, dont le Théâtre des Quartiers d’Ivry occupé comme au Théâtre National de Strasbourg et au Théâtre national de la Colline par de jeunes artistes encore plus fragilisés par la crise sanitaire.
William est comédien, metteur en scène, auteur. Il a débuté le mouvement à l’Odéon, puis est venu occuper avec ses camarades le Théâtre des Quartiers d’Ivry. Il est sorti du Conservatoire du Val Maubuée en septembre bardé de diplômes, après khâgne et un master, il est aujourd’hui au RSA. « Je touche uniquement l’argent des allocations. Je trouve parfois des heures, à droite à gauche, qui m’aident à boucler les fins de mois et à manger autre chose que des pâtes. La situation reste compliquée, et l’arrêt du fonctionnement des centres de loisirs qui permettaient de toucher quelques cachets ne facilite pas la chose. » Comme lui, des dizaines de jeunes ont élu domicile dans la manufacture des Œillets, au Théâtre des Quartiers d’Ivry dirigé depuis janvier 2020 par Nasser Djemaï. « Tout se passe bien avec eux, on a mis en place une charte de bonne conduite » explique le metteur en scène. « Ils ont désigné trois référents qui échangent avec la direction du théâtre. Ils sont 30 le jour, et 15 la nuit. Avec l’arrivée du 3e confinement, l’équipe n’était plus en mesure de les accueillir 24h sur 24. La ville d’Ivry a alors proposé la SMAC le Hangar comme lieu de repli pour la nuit. » Le théâtre leur offre des boissons chaudes, et ils ont accès à la grande halle qui reste chauffée pour y mener leurs actions, leurs ateliers d’écritures et leurs assemblées générales.
Le retrait de la réforme de l’assurance chômage
A travers ce mouvement d’occupation, les jeunes artistes entendent défendre tous les précaires. Roxanne est actrice et metteuse en scène. Elle a réussi à faire ses 507 heures, juste avant le premier confinement, et ainsi accéder à l’intermittence. Son combat va bien au-delà de la situation dans le monde de la culture : « Le Gouvernement dans ces moments de crise, a pris des décisions qui ont mis en difficulté tout un ensemble de secteurs, dont la culture, mais aussi la restauration, et tous les intermittents du travail. Une hiérarchisation se met en place, et l’on décrète qui est important et qui ne l’est pas. Cela a nous indigne et nous révolte. »
La réouverture des lieux culturels n’est plus le principal motif de revendication. Le socle commun de ce mouvement est le retrait du nouveau projet de la réforme de l’assurance chômage et la reconduction d’une année de droits sociaux pour tous les intermittents de l’emploi. « Tant que les premières revendications n’auront pas trouver de réponses, la réouverture ne nous intéresse que moyennement » poursuit William. Des revendications bien comprises et relayées par Nasser Djemaï et ses collègues dans les échanges qui sont les leurs avec le Ministère de la culture. « On sent qu’on est à la veille de quelque chose et on espère que le mouvement ne va pas se radicaliser » explique le metteur en scène. « Mon rôle est de maintenir le lien avec ces jeunes, de dialoguer, d’échanger, d’expliquer que nos maisons de service public sont à l’écoute de l’émergence. Le théâtre est occupé par des jeunes fraichement sortis des écoles et des conservatoire, ils sont en voie de préprofessionnalisation et ils ont du mal à trouver leur place et leur insertion dans le métier. »
« On travaille à des cahiers de doléance que l’on souhaite faire remonter à notre cher monarque » ironise Roxanne. « C’est assez réjouissant de voir comment on peut se fédérer pour proposer une structure parallèle. On communique entre nous, on repense la façon dont la culture se construit. On est face à des lieux contraints à des lieux de hiérarchie et qui doivent se plier aux décisions. » Cette jeunesse fait sa révolution. « On souhaite repenser le système des lieux culturels et leur hiérarchisation pour éviter que ce soit toujours les mêmes qui se distribuent leurs cv, et que l’ouverture soit plus large » poursuit William. « Car si c’est la même galère pour l’émergence et pour les jeunes compagnies. Des lieux comme le Théâtre des Quartiers d’Ivry, on ne peut y avoir accès que par une énorme coup de chance, ou alors dans un temps long après avoir beaucoup galéré. On souhaite repenser le système de l’intermittence car beaucoup de jeunes n’arrivent pas à faire leurs heures. »
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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