À la Comédie-Française, l’artiste italienne livre une version de la pièce shakespearienne sous-tendue par une lecture séduisante, et pertinente, mais lestée par un trop grand nombre de lourdeurs scéniques.
Sur le plateau de la salle Richelieu de la Comédie-Française, Lady Macbeth attend son heure. Assise juste en-dessous d’un portrait de son général de mari, elle semble, avec son allure de sorcière digne des meilleurs films d’horreur, déjà appartenir à la confrérie des prophétesses dont les voix ne tardent pas à retentir. La chevelure devant le visage, prise de spasmes qui, à intervalles réguliers, raidissent ses mains, elle s’impose comme la quatrième « soeur fatale », tel que les renomme Silvia Costa, celle par qui le « tohu-bohu » annoncé par les trois autres adviendra. Loin d’une coquetterie théâtrale, cette entrée en matière constitue, chez la metteuse en scène, le point de bascule, le moment où, alors que le « pur » et l’« impur » se confondent, le réel est subverti et le royaume écossais plongé dans une réalité parallèle. À la manière des tables lors d’une séance de spiritisme, le portrait de Macbeth se met alors à tourner sur lui-même, à une vitesse telle qu’il paraît prendre l’allure d’un vortex capable d’absorber le monde réel ou d’une spirale hypnotique en mesure de faire chavirer les têtes, à commencer par celle du militaire. Avant de sortir de scène pour laisser sa place au roi Duncan, la Lady crache avec dédain sur le tableau lacéré de part en part, et pose ainsi le cadre : c’est elle, et bien elle, qui sera aux commandes de l’entreprise meurtrière à venir, dont son mari ne sera que le méprisable, méprisé et vulgaire bras armé.
Car, sans l’influence de sa femme et des trois sorcières qui, sous les yeux ébahis de Banquo, lui annoncent qu’il deviendra « baron de Cawdor », puis « roi », Macbeth n’aurait sans doute pas rêvé à une destinée si glorieuse. De retour du champ de bataille où il vient de repousser les assauts du traître baron de Cawdor, le comte de Glamis obtient pourtant, sur décision du roi Duncan, le titre du conspirateur défait et déchu. Tandis que, le soir même, le nouveau baron annonce à sa femme que le souverain écossais vient dîner, Lady Macbeth le persuade d’alimenter la machine infernale et de profiter de l’occasion pour assassiner Duncan afin de prendre sa place sur le trône. Un temps hésitant, visiblement mal à l’aise à l’idée de devenir un meurtrier, le mari se résout finalement à aller tuer le roi dans son sommeil, mais laisse à son épouse le soin de maquiller la scène du crime pour faire croire que les gardes, saoulés à dessein, en sont les auteurs. Désormais intronisés en tant que couple royal, mais régicide, les Macbeth sont pris au piège de leur péché originel. Devenus paranoïaques, ils se mettent en tête de tuer Banquo, qui connaît la prophétie jusqu’à son terme : ce sont bien ses fils qui seront rois, sans que lui-même ne le soit.
Montée pour la seconde fois seulement dans la Maison de Molière après son entrée au répertoire, en 1985, à la suite de la reprise par Jean-Pierre Vincent de sa mise en scène donnée au Festival d’Avignon, « la pièce écossaise », comme la surnomment les superstitieux, offrait, a priori, un formidable terrain de jeu à Silvia Costa. Sur le papier, la metteuse en scène, longtemps collaboratrice de Romeo Castellucci, en offre d’ailleurs une vision extrêmement fine et précise qui, à raison, redonne à Lady Macbeth son lustre et sa capacité d’influence. Sous sa houlette, le couple régicide devient une hydre à deux têtes qui, au-delà du pouvoir, serait obsédé par l’auto-destruction engendrée par sa stérilité. Tout entier ensorcelé, Macbeth apparaît alors absorbé dans une dimension parallèle, dans une partie du réel où la raison n’a plus cours, mis sous le joug de sorcières qui réussissent à apposer un voile déformant entre la réalité et les Hommes et à faire sauter les digues intellectuelles qui leur permettent, quand bien même ils peuvent parfois y songer, de ne pas s’adonner au pire. Tandis que la Lady se voit réattribuer certaines de leurs répliques, les trois « soeurs fatales » sont omniprésentes et se réapproprient l’essentiel des rôles secondaires, comme si elles étaient capables de se métamorphoser et de corrompre l’ensemble des personnages, à l’exception de Duncan, protégé par sa toison d’or, et de Macduff, laissé immaculé.
Aussi séduisant soit-il, ce parti-pris ne passe malheureusement pas l’épreuve des planches, et tend à rendre Macbeth si ce n’est aveugle, à tout le moins borgne. Obnubilée par l’irrationalité de la pièce shakespearienne, l’adaptation de Silvia Costa, en dépit de sa limpidité, en conserve tout juste le squelette, bien trop maigre pour montrer le rôle-clef de l’obsession du pouvoir et pour suivre précisément l’évolution du couple régicide, pour observer le glissement vers la folie qui, peu à peu, s’empare de ces deux êtres, et particulièrement de Lady Macbeth. Malgré le travail sur le son très soigné de Nicola Ratti, la mise en scène échoue à mettre le plateau sous tension et souffre, paradoxalement, de nombreuses pesanteurs, dans la traduction d’Yves Bonnefoy, dont la beauté pourrait venir alimenter cette version ésotérique, mais qui se révèle difficile à manier pour les comédiennes et les comédiens, comme dans la scénographie. Si, dans un premier temps, le savoir-faire de Silvia Costa produit de belles images, à l’instar de ces spirales hypnotiques et de cet anneau de pouvoir géant où est inscrit « Ante faciem tuam ibi mors » (« Devant ton visage il y a la mort »), la symbolique s’avère rapidement trop chargée et la machinerie trop lourde à manoeuvrer. Plutôt que de lui permettre de se déployer, elle entraîne la pièce dans un faux rythme et génère quelques fautes de carre qui, à l’image de ce banquet au confessionnal qui, à l’arrivée des fantômes, se transforme en castelet digne du théâtre de Guignol, conduisent à l’enserrer. Des lourdeurs d’autant plus dommageables que les comédiennes, et surtout les comédiens, présents au plateau ne parviennent pas à donner l’allant nécessaire au spectacle. Si Julie Sicard profite de quelques morceaux de bravoure, et notamment des dernières répliques de Lady Macbeth où elle porte la folie, avec sensibilité, à son incandescence, si les trois « soeurs fatales », incarnées par Suliane Brahim, Jennifer Decker et Birane Ba (en alternance avec Julien Frison) s’en donnent à coeur joie, le reste de la distribution masculine apparaît beaucoup plus à la peine, quasi fantomatique, jusqu’à nous faire assez largement passer au travers de ce Macbeth.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Macbeth
d’après William Shakespeare
Adaptation, mise en scène et scénographie Silvia Costa
Traduction Yves Bonnefoy
Avec Alain Lenglet, Julie Sicard, Pierre Louis-Calixte, Suliane Brahim, Jennifer Decker, Julien Frison en alternance avec Birane Ba, Noam Morgensztern, Clément Bresson et Marceau Adam Conan
Dramaturgie Simon Hatab
Scénographie Michele Taborelli
Costumes Camille Assaf
Lumière Marco Giusti
Musique originale et son Nicola Ratti
Assistanat à la mise en scène Alison Hornus, Mathilde Waeber de l’académie de la Comédie-Française
Assistanat à la scénographie Dimitri Lenin
Assistanat aux costumes Alma Bousquet
Assistanat au son Ania ZanteAvec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet, grande ambassadrice de la création artistique
Le décor et les costumes ont été réalisés dans les ateliers de la Comédie-Française.Durée : 2h10
Comédie-Française, salle Richelieu
du 24 janvier au 11 mai 2025
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