Dans Nachlass, Stefan Kaegi, membre du collectif berlinois Rimini Protokoll, traite la question de la fin de vie en plaçant le spectateur déambulant face à huit portes qui sont autant d’ouvertures vers la mémoire vive d’existences en train de s’éteindre.
Derrière chacune de ses entrées, des pièces exiguës mais néanmoins accueillantes, presque familières, de type chambre, bureau, salle à manger, invitent les visiteurs à s’immiscer par petits groupes dans l’intimité d’individus relatant l’appréhension de leur mort prochaine. Des morts choisies, plus ou moins programmées. La pièce a été créée en Suisse où l’euthanasie est légalisée. Ses protagonistes sont des inconnus, pas des anonymes. Ce sont majoritairement des personnes âgées et malades, la voix vacillante, l’élocution parfois heurtée. Elles se racontent avant de disparaître. Nadine, ancienne secrétaire commerciale qui rêvait de devenir chanteuse et actrice. Comme elle, deux retraités allemands qui ont connu le nazisme ont pris la décision de partir ensemble et ont déterminé la date pour cela. Plus jeune, Alexandre a 44 ans, il est atteint d’une maladie rare et adresse à sa fille Marie les mots simples et bouleversants d’un père qui ne verra peut-être pas grandir sa progéniture. Celal qui vit à Zurich a tout organisé pour faire rapatrier son corps dans sa Turquie natale. Gabriel lègue ses affaires à une fondation pour l’évolution du continent africain.
Nachlass en allemand signifie littéralement « laisser après ». L’œuvre se présente comme le fruit d’une longue investigation qui a conduit l’équipe artistique dans des hôpitaux et des entreprises funéraires pour recueillir des témoignages et interroger quelle trace, quels biens, laisse et transmet un défunt à ceux qui lui survivent ?
L’important dispositif installé dans la salle René Gonzalez du théâtre de Vidy s’apparente à un large monument aux morts. Rien n’y est ostentatoire malgré l’ampleur. Juste des pièces en enfilade sont chargées d’objets personnels provenant du quotidien, des photographies, des cartons d’archives, un pullover tricoté main, mais aussi et surtout emplies de récits, de mots, enregistrés et intimement adressés. La voix du locuteur comble son absence manifeste et le rend bien présent.
Cette forme originale de théâtre documentaire proposée par Stefan Kaegi et le scénographe Dominic Huber est une expérience infiniment sensible et délicate, émouvante mais pas nécessairement triste. Son propos n’a rien à voir avec une quelconque portée voyeuriste ou sensationnaliste. Il s’adresse autant au cœur qu’à la conscience et ne peut laisser indifférent. Le temps se suspend. Traversé par la mort, Nachlass est aussi plein de vie.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Nachlass
Un projet de : Rimini Protokoll (Stefan Kaegi, Dominic Huber)
Vidéo : Bruno Deville
Dramaturgie : Katja Hagedorn
Assistante conception : Magali Tosato
Assistante scénographie : Clio Van Aerde
Conception technique et construction : Théâtre de Vidy
Production : Théâtre de Vidy, Lausanne
Coproduction : Rimini Apparat / Schauspielhaus Zürich / Bonlieu Scène nationale Annecy et La Bâtie, Festival de Genève dans le cadre du programme INTERREG France-Suisse 2014-2020 / Maillon, Théâtre de Strasbourg – Scène européenne / Stadsschouwburg Amsterdam / Staatsschauspiel Dresden /Theater Chur / Carolina Performing Arts
Avec le soutien de : Fondation Casino Barrière, Montreux, Maire de Berlin – Chancellerie du Sénat – Affaires culturelles
Accueilli à Strasbourg avec le soutien de : ONDA, Office national de diffusion artistique
La diffusion et les tournées du Théâtre de Vidy sont soutenues par : Pro Helvetia – Fondation suisse pour la cultureMC93
6 > 17 NOVEMBRE 2018
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