Avec sa pièce itinérante Molière et ses masques, Simon Falguières poursuit sa réflexion en actes sur ce qu’est le théâtre et ce qu’il peut, dans la droite ligne du principe qu’il défend au plateau depuis ses débuts : faire beau, et beaucoup, avec peu.
Dans Molière et ses masques, Simon Falguières et les constructeurs Alice Delarue et Léandre Gans se gardent d’utiliser les compétences en matière de fabrication qu’ils ont dû déployer dans leur base arrière du Moulin de l’Hydre. Tout se passe sur un tréteau blanc auquel est attaché un rideau qui donne au tout une allure hybride, entre la scène de théâtre et le radeau. Ce drôle d’attelage est fait de manière à pouvoir prendre la route et les chemins, d’abord en Normandie, puis ailleurs. Car, s’il a désormais son lieu, le directeur de compagnie refuse de s’y replier. Le choix de Molière comme sujet d’une pièce itinérante et à vocation populaire pouvait effrayer, faire redouter une certaine facilité. Le prologue porté par Charly Fournier nous rassure d’emblée.
Avec son personnage de bouffon autant imprégné de l’époque de Molière que de la nôtre, aussi délicieux qu’étrange, le comédien pose les bases d’une relation très ludique et libre à la figure tutélaire du théâtre. Laquelle n’est pas sans faire penser à un autre personnage imaginée il y a quelques années par Simon Falguières, au Gabriel du Nid de cendres et à sa famille d’accueil, qui déplace également son théâtre en roulotte. Après un récit de naissance encore plus expédié que chez Boulgakov, dont Le Roman de monsieur de Molière est l’une des sources évidentes de Simon Falguières, la première des deux parties du spectacle raconte la période itinérante de la carrière du personnage éponyme. Soit douze années, traversées au pas de course par les comédiens, dont l’habileté à changer sans cesse de personnage et de registre de jeu excelle à produire une véritable impression de troupe.
Seule Anne Duverneuil est assignée à un seul personnage : elle incarne un Molière excessif, tempétueux dans ses réussites comme dans ses échecs. Les cinq autres – Antonin Chalon, Louis de Villiers, Charly Fournier, Victoire Goupil et Manon Rey – se pressent à mettre et enlever les masques, réalisés, tout comme les costumes, par Lucile Charvet, qui à eux seuls prêtent à rire avec leurs crêtes farfelues dressées sur des crânes emballés de plastique. Dans une mise en abyme qui sert efficacement la partition comique de Simon Falguières, les interprètes soulignent volontiers la dimension surhumaine, voire absurde de l’exercice qui leur est confié : dire tout de Molière en seulement 1h20. C’est donc au gré de faux ratés très maîtrisés qu’avance la narration.
La chronologie, traversée à toute bringue, est respectée. Depuis L’Étourdi ou les Contretemps (1653), sa première grande comédie, jusqu’au Malade imaginaire (1673), on suit l’œuvre de l’auteur à travers de très brèves scènes où les masques sont de sortie, ainsi que les codes de la farce inspirés de la commedia dell’arte. Entre ces intermèdes de fiction, les rapports de la troupe avec le pouvoir et l’obscurantisme grandissant sont montrés sous une forme à peine plus sérieuse, qui n’est pourtant pas sans exprimer une certaine gravité. C’est que, derrière les contours exagérés du passé, à travers les simagrées des acteurs, c’est notre présent que l’on distingue sans cesse. Le talent de Simon Falguières et son équipe à garder vivant tout au long de la pièce l’entre-deux époques qu’ils ont choisi d’explorer est encore une preuve de la grande cohérence de son incroyable projet théâtral.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Molière et ses masques
Texte, mise en scène et scénographie Simon Falguières
Avec Antonin Chalon, Louis de Villiers, Anne Duverneuil, Charly Fournier, Victoire Goupil, Manon Rey
Construction des tréteaux Le Moulin de L’Hydre Alice Delarue, Léandre Gans
Création des musiques Simon Falguières, Manon Rey, Antonin Chalon, Charly Fournier
Création costumes Lucile CharvetProduction Le K
Soutiens Le Moulin de l’Hydre / DRAC Normandie dans le cadre de l’été culturelDurée : 1h20
Représentations en itinérance autour du Moulin de l’Hydre :
Domfront
le 13 septembre 2024Saint-Pierre d’Entremont
le 15 septembreReprésentations en itinérance autour de Transversales Scène Conventionnée de Verdun :
Hanonville
le 25 septembreStenay
le 26 septembreVerdun
le 27 septembreDrompcevrin
le 28 septembreTournée en itinérance entre le Moulin de l’Hydre et la Comédie de Caen
printemps 2025
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