Osons l’écrire, François Chaignaud est un performeur de la plus belle espèce, une créature scénique rare. Dans Mirlitons, programmé avec le Festival d’Automne à la MC 93, le danseur partage le plateau avec un expert du human beatbox, Aymeric Hainaux, et l’évidence de leur rencontre saute aux yeux et aux oreilles. En un duo percussif saisissant, ils nous offrent une expérience intimiste et organique inouïe.
Pour qui connaît la grâce et la virtuosité de François Chaignaud, danseur hors pair et hors cadre, pour qui connaît la puissance percussive d’Aymeric Hainaux, beat boxer hors norme, leur collaboration est une promesse de performance inouïe. Car la rencontre entre deux artistes de cette trempe déjoue forcément les attentes s’il y en a et si l’on est familier de leur pratique individuelle et séparée. L’union des deux déplace encore un peu plus loin le curseur de la représentation et vient révéler de nouveaux possibles, un nouvel alliage chorégraphique et musical, une nouvelle alliance de corps. L’hybridation est donc au cœur de Mirlitons, duo organique et pulsatile qui reprend un dispositif de grande proximité déjà pratiqué par François Chaignaud dans le passé. Le cercle de spectateur.ices y est assis à même le sol, sur des coussins de fortune, tout autour d’un espace scénique réduit à une minuscule structure, îlot central et sacré où se joue le face à face flamboyant de ces deux tempéraments. En une heure de temps, dans une écoute épidermique maximale, ils enverront valser les prés carrés. Frontières abolies, musique et danse réunies en un pas de deux qui brouille les pistes, les époques, les références. Ici, le corps est un instrument percussif d’une richesse sans fin. Culture savante et populaire, folklore traditionnel et approche contemporaine s’entrechoquent, les disciplines artistiques n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre, leurs arts s’enlacent et leurs corps se font écho en une traversée que le public vit au plus près, pris dans la transe rythmique qui se répand comme une onde. Et le choc est grand.
Mirlitons est une expérience saisissante, une déflagration sismique qui vient faire vibrer le sol jusque sous nos fesses, qui travaille le rythme à sa source, à la racine de notre incarnation. Une performance chamanique, une cérémonie sans âge qui nous invite à entrer en contact avec notre pulsation interne, nous convie à une immersion musicale inédite. Avec ou sans micro, Aymeric Hainaux fait de son corps la caisse de résonance immense qui propage la rythmique impulsée par sa bouche. Et le mouvement investit tout son être jusqu’à transformer sa musicalité intrinsèque en danse tribale effrénée. Et tous ses organes de battre la mesure sur le même tempo que ses cordes vocales. Pieds nus ou chaussé, François Chaignaud fait de son corps tout entier un outil de percussion. Bâton à la main, tapant le plateau bi-matière avec un aplomb médusant, portant une paire de chaussures opérant la fusion entre la pointe classique et les claquettes de jazz, il insuffle la cadence à l’unisson avec son compagnon scénique. Une fois de plus, la pulsion est au cœur de la démarche de ce chorégraphe érudit, intrépide et sulfureux, familier des danses urbaines autant que de la technique classique, sensible aux rites de transes orientaux et chanteur lyrique par ailleurs. Il a la pratique du mix à cœur, n’aime rien tant que puiser dans différents terreaux, associer danse et chant et faire du corps un territoire esthétique ouvert à toutes les transformations.
Vêtu d’un pantalon de cuir marron évasé surmonté d’un pull cintré vert pétillant, François Chaignaud amorce la représentation l’air de rien, sans que l’on sache vraiment exactement quand cela débute car l’on glisse dedans imperceptiblement. Allongé sur un tissu rouge, son comparse porte une cotte de maille sur le crâne, lestée de broches ou de porte-clés (difficile à identifier) au petit bruit grelottant en phase avec ses mouvements de tête. Il est en costume iridescent. Plus tard, François Chaignaud ajoutera une veste assortie au bas, imprimée de très légers motifs végétaux, dessinant sa carrure de statuaire, avant de tomber les deux pour faire de son pull une coiffe improvisée et danser en pantalon moulant crème, rappelant les collants masculins médiévaux. Puis arbore à son tour une cotte de mailles de breloques sur le torse. Ainsi, si le costume confère son esthétique à l’ensemble et l’ancre dans un folklore éclectique, il entre aussi dans ce dialogue rythmique tous azimuts. Et l’imaginaire se déploie en divers horizons, allant du flamenco à la pastorale en passant par les danses traditionnelles populaires, la danse classique et les danses de club.
A eux deux, nos performeurs de haute volée jouent de tous les registres et surtout, d’une porosité entre eux maximale. Soubresauts, suspensions de rythme, corps arqué dans un sens ou l’autre, gestes tonitruants, les deux hommes exultent et nous exaltent en ricochet. Leurs visages, inondés de transpiration et de concentration, n’empêchent pas l’humour qui s’invite, l’apanage de ceux qui ne se prennent pas au sérieux car ils n’ont rien à prouver. On assiste là à la rencontre de deux caïds en leurs arts, qui les échangent et s’abreuvent l’un à l’autre en des vases communicants d’une richesse inégalable. Et quand ils s’arrêtent, dans le silence de leur repos, reste l’offrande de leurs visages et le souffle court de ceux qui ont beaucoup donné.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Mirlitons
Conception et interprétation François Chaignaud et Aymeric Hainaux
Collaboration artistique Sarah Chaumette
Costumes Sari Brunel
Régie générale Marinette Buchy
Régie son Jean-Louis Waflart, Patrick Faubert
Production Mandorle productions Garance Roggero, Jeanne Lefèvre, Emma Forster
Agence de diffusion à l’international – APROPIC Line Rousseau, Marion Gauvent
Production Mandorle productions, APROPIC – agence de diffusion à l’international.
Coproduction MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Festival d’Automne à Paris, Charleroi Danse, centre chorégraphique de Wallonie Bruxelles (Belgique), Maison de la Danse de Lyon – Pôle européen de création, Festival Next (France, Belgique), Triennale di Milano (Italie), KunstFestSpiele Herrenhausen Hannover (Allemagne), Theater Rotterdam, Bonlieu Scène nationale d’Annecy.Durée : 1h
Du 11 au 22 octobre 2023
A la MC 93 de Bobigny22 novembre à l’EDA – scène nationale Chalon-sur-Saône (dans le cadre du Festival TransDanses)
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