Mickaël Délis reprend son seul en scène au Théâtre de la Reine Blanche à Paris, puis cet été dans le Off à Avignon. Le Premier Sexe ou la grosse arnaque de la virilité ouvre la voie d’une trilogie qui zoome sur le sexe masculin et déjoue avec force humour et sens de l’observation le discours dominant. L’occasion de rencontrer cet homme épanoui qui cultive la joie aussi bien que son jardin.
Mickaël Délis a un truc. Un truc avec l’écriture, avec la scène, avec la transmission aussi. Un truc avec la vie en fait. Le rencontrer, c’est se prendre en plein visage une bouffée de lumière, d’intelligence et de joie de vivre, une déflagration d’énergie positive. Mickaël Délis a pourtant les yeux grands ouverts sur le monde, il est lucide et il a les pieds sur terre, il est conscient de là où le bât blesse mais ça ne l’empêche pas d’agir à son endroit, depuis l’écriture dont le goût lui est tombé dessus au lycée et ne l’a plus lâché, depuis le jeu et la danse, pratiques artistiques complémentaires et émancipatrices arrivées ensuite. Il combine ses disciplines avec un enthousiasme communicatif là où on l’invite, que ce soit sur un plateau de théâtre ou de télé (ses chroniques hilarantes et tendres dans C à vous l’ont couronné de reconnaissance et d’admiration), ou encore sur les réseaux sociaux (où ses vidéos sur l’intermittence et son journal de confinement ont fait un carton mérité, alliant drôlerie maximale et finesse observatrice dans un style inénarrable).
La saison dernière, après les bâtons dans les roues liés à la pandémie, son premier seul en scène voit le jour à la Reine Blanche : Le Premier Sexe ou la grosse arnaque de la virilité. Une première esquisse avait été présentée dans le cadre d’une carte blanche à l’époque de La Loge à l’invitation de Lucas Bonnifait, avec Elisa Erka à la mise en scène. L’envie de réfléchir au genre et de rendre hommage aux femmes, présidait à ce geste impromptu, réalisé dans l’urgence et la spontanéité de la main tendue. L’envie d’aller plus loin est arrivée avec le même élan. « Je ne savais pas si l’exercice du solo me plaisait. Mais en fait tu n’es jamais tout seul. J’ai eu plein de collaborateurs merveilleux, c’était extrêmement festif et terrifiant à la fois. J’ai eu la confirmation de ce plaisir à être homme-orchestre tout en assumant seul le spectacle » confie-t-il. A l’époque, Mickaël Délis ne sait pas encore qu’il se lance dans une trilogie, il se lance dans un solo et l’enjeu est déjà assez maousse costaud. « J’écris, je mets en scène, je joue, donc si on déteste, on me nie trois fois » dit-il dans un éclat de rire. Mais après le succès public et critique du spectacle, la confiance de la Reine Blanche devenue entre-temps co-productrice, Mickaël Délis reprend pour quelques dates imminentes, plus aguerri et serein, ce seul en scène délectable et roboratif. Revenir là où il a fait ses premiers pas avant de migrer dans la salle avignonnaise de la Reine Blanche dans le cadre du Festival Off.
Suite à cette première et fructueuse expérience, il se rend compte qu’en lecteur et défricheur compulsif ayant fouillé toute la littérature à portée de main sur ces sujets, il a encore tellement de matière à utiliser, qu’il y a encore tellement à explorer autour du genre et de la sexualité, de la compulsion et de la domination, du sexe biologique masculin, qu’il a encore tellement à dire pour réfléchir ensemble ces questions-là, qu’une trilogie va de soi. L’idée étant de resserrer la focale au fur et à mesure. Chapitre 1 : le genre et la norme viriliste. Chapitre 2 : la verge et l’injonction à la puissance. Chapitre 3 : le sperme et les enjeux de transmission. Voilà ce qui nous attend ! Le deuxième opus est déjà écrit et prévu pour mai-juin 2024 à la Reine Blanche. Ce sera La Fête du slip, digression sur la verge et il s’agira de mitrailler, avec humour toujours, la pression sur l’érection à tout prix et de réhabiliter la vulnérabilité et la mollesse en contrepoint à ce mythe dépassé de la puissance. Pour ce qui est du petit dernier, intitulé provisoirement Les Paillettes de leur vie, et imaginé en écho à son propre parcours de don de sperme, il s’agira de zoomer sur « le contenu des bourses » et de questionner la filiation autant que la paternité et tous les impensés qui vont avec. Au seuil d’une trilogie qui risque de faire un grand ménage dans les représentations stéréotypées et beaucoup de bien à tout le monde, tous genres confondus, Mickaël Délis sait ce qu’il doit aux figures d’inspiration qui peuplent son univers imaginaire.
Il cite sa famille, premier cercle d’influence et source essentielle, sa mère, céramiste et photographe, son père, designer et sculpteur, son frère jumeau, David Délis, collaborateur artistique complice, des figures d’enseignement (en danse et théâtre au Conservatoire du XXème arrondissement), des personnalités marquantes côtoyées lors de stages comme Jean-François Sivadier, Gwenaël Morin ou le Birgit Ensemble qui lui ont fourni méthodes et clés couronnées d’un principe fondamental, la joie de jouer. Il cite des figures féminines fortes et inspirantes, Hortense Belhôte ( « grande amie »), Rébecca Chaillon dont il loue « l’audace et le courage », Estelle Meyer (« grande icône »), Phia Ménard (« claque plastique »). En boulimique de culture qui prend sa rasade quotidienne de théâtre et de lecture, curieux insatiable passé par une hypokhâgne à Bordeaux puis une maîtrise sur Emily Dickinson à la Sorbonne, Mickaël Délis n’aime rien tant que créer des liens par la langue et transmettre. Cours de pratique théâtrale à la Fac de Créteil, interventions et ateliers en milieu scolaire ou auprès de personnes en situation de handicap, chacune de ses activités (qu’il a nombreuses) nourrit les autres dans des jeux de vases communicants au milieu desquels il trouve son équilibre et son épanouissement.
Trois moteurs et motifs le guident intimement et intensément dans toutes ses pratiques : le plaisir, l’urgence et l’injustice. Éprouver la jouissance d’écrire et d’être au plateau, le plaisir de faire à plusieurs, savourer chaque instant de partage et les rencontres inouïes que permet ce métier. Avoir en tête qu’on n’est pas là pour longtemps, que notre passage sur terre est éphémère, ne pas remettre à plus tard ce qu’on peut faire au présent. Plusieurs expériences de deuil rapprochés lui ont fait prendre conscience de l’urgence à savourer chaque instant. Quant à l’injustice, “elle rend la parole aussi nécessaire que brûlante” selon lui. « Cette trilogie, c’est aussi la tentative de conjurer l’oppression, la stigmatisation, l’insulte… par le rire, par le sourire, par la langue qui permettent de se réapproprier l’attaque pour en faire sinon des victoires, du moins l’opportunité d’équités nouvelles.» Programme aussi alléchant que nécessaire, à la jonction entre l’introspection et l’observation sociologique, entre l’autofiction et la réflexion mise en commun.
Mickaël Délis est un homme apaisé, un être de partage et un artiste épanoui qui a trouvé dans l’écriture, dans le jeu et dans la danse sa façon d’être au monde.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Le Premier Sexe ou la grosse arnaque de la virilité
Du 2 au 9 juin 2024
Au Théâtre de la Reine BlancheDu 3 au 21 juillet 2024 à Avignon – Reine Blanche (dans le cadre du Festival OFF)
Du 17 septembre au 27 novembre 2024 à la Scala-Paris
La Fête du slip ou le pipo de la puissance
Du 8 mai au 14 juin 2024 au Théâtre de la Reine Blanche
Du 3 au 21 juillet 2024 à Avignon – Reine Blanche (dans le cadre du Festival OFF)
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