Après 20 ans de carrière, Michel Vuillermoz quitte la Comédie-Française à l’issue de la dernière représentation d’Angels in America. Il aura marqué l’histoire de l’institution, en endossant le rôle de Cyrano de Bergerac, mais aussi celui de Thésée ou de Tartuffe. Dès le 1er juin, il remet en scène Masterclass de David Pownall au Théâtre Edouard VII.
Etiez-vous prédestiné à entrer à la Comédie-Française ?
Pas du tout. On m’avait déjà proposé de rentrer à la Comédie-Française à la sortie du Conservatoire, donc en 1989, mais j’avais refusé. Ce n’était pas du tout une vocation de rentrer à la Comédie-Française. C’est vraiment par un concours de circonstances, par l’intermédiaire de Denis Podalydès et de Piotr Fomenko, immense metteur en scène russe qui n’est plus de ce monde, et qui cherchait un acteur. Denis a pensé à moi et j’y suis rentré. Il a mis du temps pour me dire que ça serait la Comédie-Française. Je me suis dit que c’était une chance incroyable de le rencontrer et de travailler avec lui. En me disant que je n’avais pas vocation à y rester et qu’au bout d’un an, je partirai après le spectacle. Et puis j’ai rencontré la troupe et je me suis dit que l’on était fait du même bois avec cette envie de faire du théâtre. Et puis, très vite, le projet de Cyrano est arrivé. On ne peut pas dire non à Cyrano. Donc je suis resté. De fil en aiguille, j’y suis resté 20 ans. Mais au début, ce n’était pas prévu comme ça et je ne le regrette pas.
Vous l’avez joué combien de temps Cyrano de Bergerac ?
280 fois à peu près je crois. Ce qui est beaucoup et pas beaucoup, parce qu’on l’a créé en 2006 et on a fini en 2017 sur onze ans. Donc il y a des saisons où je ne l’ai pas joué.
C’est vous qui avez pris la décision de partir. Pourquoi ?
Oui, je suis ni le premier ni le dernier à avoir fait ça. Mais oui, 20 ans de maison, ça suffit. Et puis je ne suis plus beaucoup distribué, n’ayant plus trop d’affinités avec la programmation proposée ici par l’Administrateur – c’est une histoire de goût aussi, il y a tout de même des spectacles que je peux aller voir et qui me plaisent bien – mais globalement je me dis que je ne m’y retrouve pas dans ce qui est présenté ici. Je préfère partir avant que l’on me dise « : « Merci Michel, au revoir, ça suffit. Maintenant, tu as rempli ta mission, mais on va en prendre d’autres« . Ce n’est pas par lâcheté, mais c’est plutôt par courage, parce que c’est tellement confortable ici. Croyez-moi, il fait froid dehors pour beaucoup de comédiens, donc je vais me retrouver évidemment au chômage, aller aux Assedic et chercher mes 507 h, et redevenir intermittent du spectacle.
Après la Comédie-Française, il y a donc une autre vie et elle va commencer au Théâtre Edouard VII. Vous allez reprendre un spectacle que vous avez joué et créé il y a 30 ans. C’est Masterclass où vous interprétez Staline.
Oui, j’interprète Staline. Absolument. J’essaye d’incarner la figure de Staline. C’est un huis clos au Kremlin, c’est une farce. C’est extrêmement drôle et en même temps assez glaçant sur les limites du pouvoir. Staline décide de convoquer les deux plus grands compositeurs de l’époque, Prokofiev et Chostakovitch. Cela se passe en janvier 48, avec la présence du ministre de la Culture, un soir où Staline va proposer à ces deux compositeurs d’écrire la nouvelle musique soviétique.
Est ce que c’est une pièce sur le rapport entre les artistes et les politiques ?
Entre le pouvoir et les artistes, sur les limites d’un pouvoir dictatorial, sur la censure. Aujourd’hui, même si on n’est plus trop dans une époque de censure, on est plutôt dans une époque d’auto censure. Qu’est ce que je ne dois dire ? Qu’est ce que je ne dois pas dire ? Est ce que l’argent public doit servir à des spectacles qui démontent un peu la République ?
Pensez vous au dernier soir, au dernier salut, lorsque vous jouerez pour la dernière fois le rôle de Roy Cohn à Richelieu ?
Non, je n’y pense pas, mais je risque d’être très ému, c’est sûr, même si pour le moment je me dis que c’est une représentation comme une autre. Sans doute que je serai très ému, même si je suis déjà parti dans ma tête. J’ai pris ma décision il y a quand même depuis deux ou trois ans. Donc ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé brutalement comme ça depuis une semaine. Et évidemment que je serai sans doute ému au moment des saluts, bien sûr, on n’efface pas 20 ans dans cette maison d’un revers de main avec les cadeaux que j’ai pu avoir, les rôles, les rencontres, et la troupe qui est magnifique, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes. C’est une très, très, très, belle Troupe. Je vais la quitter non pas à regret parce que je vais revenir voir mes camarades, mais je pars évidemment le cœur léger et un peu la fleur au fusil et sans amertume aucune.
Vous avez passé 20 ans ici, donc potentiellement, vous allez pouvoir devenir sociétaire honoraire de la Comédie-Française.
C’est possible, mais ça, ce sont mes camarades du Comité qui décideront de me proposer ou non l’honorariat que j’accepterais avec grand plaisir.
Quel formidable acteur ! Quel courage de se mettre ainsi en danger par les temps difficiles qui courent et cela prouve tellement sa véritable qualité d’artiste ! Bravo.