À l’Opéra-Comique, des Contes d’Hoffmann montés à la sauce Lewis Carroll par Lotte de Beer plongent avec malice dans les frasques imaginatives du protagoniste, passionnément interprété par Michael Spyres.
Les Contes d’Hoffmann créés au début de l’année à Strasbourg ouvrent la saison de l’Opéra-Comique à Paris. La mise en scène est signée de la Néerlandaise Lotte de Beer, actuelle directrice du Volksoper de Vienne, très prolifique sur les scènes européennes, mais encore peu présente en France. L’artiste propose une relecture très personnelle du chef-d’œuvre d’Offenbach en confrontant son héros éponyme à sa confusion entre la réalité et la fiction. Cette logique constitue l’élément moteur de la formidable et astucieuse proposition scénographique qui fait d’un décor traditionnel de taverne miteuse un plateau de théâtre perpétuellement soumis à d’étonnantes transformations déformantes. À la manière du célèbre conte Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, le mobilier double soudainement de volume ou se rapetisse drastiquement, entre autres jeux d’illusions et d’hallucinations. L’effet le plus spectaculaire se donne à voir au cours du premier acte lorsque Olympia, la poupée dont Hoffmann tombe amoureux, paraît d’abord aux dimensions d’un poupon de taille normale avant de se répliquer en gigantesque automate. Le principe parfois s’émousse au cours de la longue éducation sentimentale du protagoniste, qui fait se succéder les actes consacrés à Antonia, la musicienne maudite, et à Giulietta, la perfide courtisane.
Quitte à procéder à de nombreux aménagements – notamment à la réécriture complète des dialogues accompagnée de plusieurs coupes –, Lotte de Beer montre le parcours d’Hoffmann dans une perspective résolument « critique ». En reflétant certains aspects néfastes de son tumulte intérieur, elle choisit de faire le procès de l’artiste romantique et démonte ainsi le cliché du dandy au génie créateur en proie à ses visions fantasmagoriques pour en dévoiler toute la désinvolture et le narcissisme. On peut néanmoins compter sur Michael Spyres pour faire d’Hoffmann un personnage particulièrement attachant et ardent malgré la volonté délibérée de le décrier. Si quelques signes de fatigue surgissent en toute fin de soirée, il est peu de dire que le chanteur reste en pleine possession de ses colossaux moyens. Il impressionne d’aisance sur l’entièreté de sa vaste tessiture de « baryténor » au calibre désormais wagnérien. Côté féminin, Amina Edris cumule, comme l’a voulu le compositeur, toutes les figures féminines dont Hoffmann s’amourache, et ce avec un bonheur inégal. Le timbre est sans doute trop cuivré et la voix peu agile pour Olympia, rôle dans lequel elle n’offre pas le feu pyrotechnique attendu dans les vocalises. L’instrument s’épanouit davantage dans l’émouvante mélancolie d’Antonia et la suave volupté de Giulietta. La performance est honorable, mais l’effort paraît trop palpable.
C’est diamétralement l’inverse chez La Muse campée par Héloïse Mas. Une forte et insolente présence scénique et vocale est mise au service d’une figure habituellement effacée qui, ici, se voit conférer par la mise en scène un rôle de thérapeute, livrant son analyse avec ce qu’il faut d’empathie et d’ironie corsée. Une mention pour Jean-Sébastien Bou, qui enchaîne avec vigueur et délectation les multiples figures diaboliques de l’ouvrage, tandis que le jeune Raphaël Brémard cumule les rôles de pure comédie avec la verve et le panache d’un épatant chanteur et comédien. Les très bons chœurs de l’Ensemble Aedes bondissent en soiffards entonnant leurs « Glou ! Glou ! Glou ! », puis finissent en doubles d’un Hoffmann démultiplié. L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg que dirige Pierre Dumoussaud sonne avec un certain lyrisme et s’adapte avec justesse aux atmosphères très différentes dont regorge l’œuvre. Une bonne dynamique et une belle vivacité dans l’ensemble ne sauraient masquer un raté : la barcarolle vénitienne a tant manqué de magie et de sensualité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les Contes d’Hoffmann
de Jacques Offenbach
Livret Jules Barbier, d’après la pièce de Michel Carré
Direction musicale Pierre Dumoussaud
Mise en scène Lotte de Beer
Avec Michael Spyres, Héloïse Mas, Amina Edris, Jean-Sébastien Bou, Raphaël Brémard, Nicolas Cavallier, Matthieu Justine, Matthieu Walendzik, Marie-Ange Todorovitch en alternance avec Sylvie Brunet-Grupposo, Luc Cers, Hugo Collin, Arnaud Richard
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Choeur Ensemble Aedes
Chef de chœur Mathieu Romano
Metteur en scène associé Frédéric Buhr
Décors Christof Hetzer
Costumes Jorine van Beek
Lumières Alex Brok
Réécriture des dialogues et dramaturgie Peter te Nuyl
Traduction française des dialogues Frank Harders
Assistant à la direction musicale Matthew Straw
Assistante décors Alice Dal Bello
Directrice des études musicales Nathalie Steinberg
Pianiste et assistante directrice des études musicales Flore-Élise CapelierProduction Opéra national du Rhin
Coproduction Opéra-Comique ; Volksoper Wien ; Opéra de ReimsDurée : 3h (entracte compris)
Opéra-Comique, Paris
du 25 septembre au 5 octobre 2025




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