Avec la complicité des élèves de la promotion 10 de l’Ecole du TNB, Mohamed El Khatib construit une pièce chorale qui, non sans émotion, brosse le portrait des relations parents-enfants.
Au théâtre, il faut parfois savoir attendre l’heure des saluts pour être traversé par le plus vif frisson. A l’issue de la première représentation de Mes parents, qui ouvrait le Festival TNB ce mardi 9 novembre, il est peu de dire que, sur le plateau comme dans la salle, chez les élèves de la promotion 10 de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne comme chez les spectateurs présents, l’émotion était palpable de voir réunis, d’un seul et même tenant, ces – grands – enfants et ces parents – plein d’aplomb – que leur progéniture ont pris pour objet d’étude théâtrale plus d’une heure durant. En malicieux magicien, Mohamed El Khatib a su, comme il a coutume de le faire, surprendre son monde en faisant surgir sur le plateau ceux que l’on n’attendait pas, ou plus, mais que, au fil du spectacle qu’il a conçu, tout un chacun avait pu soigneusement imaginer grâce aux anecdotes et aux indices habilement distillés.
Expert, s’il en est, de la relation parents-enfants – intime dans Finir en beauté, percutée par la mort dans C’est la vie ou par le divorce dans La Dispute –, le metteur en scène a vu germer cette idée lors du premier confinement. Alors en session de travail par écrans interposés avec les élèves de la promotion 10 de l’Ecole du TNB, il leur demande de se présenter sous la forme d’une courte autobiographie à la manière de l’Autoportrait d’Edouard Levé ; quand soudain, l’une des apprenties comédiennes évoque, en pleine visioconférence, la sexualité de ses parents et provoque, dans la foulée, un débat sur ce sujet délicat, voire tabou, avec ses camarades. « De fil en aiguille, nous en sommes arrivé⸱es au point de vue que nous portons sur nos parents, de quoi héritons-nous avec amour et tendresse et que rejetons-nous », explique Mohamed El Khatib. Le projet Mes parents est alors lancé et s’appuiera, comme toujours avec l’artiste, sur un matériau documentaire : les confessions des parents, d’une part, sur leur jeunesse, leur rencontre, leur mariage, et des écrits des élèves, d’autre part, dédiés à la relation avec leur parentèle. A charge, ensuite, pour le dramaturge de passer un coup de plume afin de donner une unité à l’ensemble.
De ce travail préparatoire, émerge un patchwork touchant d’intimité et étonnant de réflexivité. Au fil des confessions éclair des uns et des autres – à travers des photos de mariage, des messages téléphoniques, des récits de conversations, des anecdotes de vie… – s’édifie une pièce chorale où, loin de simplement offrir un numéro à chaque élève-comédien – comme le veut parfois la tradition des (mauvais) spectacles de fin d’année –, chaque élément s’impose comme la pièce d’un puzzle qui, une fois assemblé, touche au plus près la réalité de la relation parents-enfants telle qu’elle peut se vivre aujourd’hui. S’y entremêlent les doutes des premiers sur les choix des seconds, l’ironie mordante des plus jeunes sur le passé, forcément devenu un peu kitsch, des plus vieux, l’héritage, parfois assumé, parfois rejeté, dans ses dimensions physique, sociale ou culturelle, la permanence aussi de la parentalité et de l’infantilité, quel que soit l’âge de l’enfant concerné et quand bien même il n’ait plus celui d’avaler un Berocca au petit-déjeuner.
Surtout, Mes parents ne se contente pas d’empiler les témoignages, comme on enfilerait des perles nimbées de nostalgie. Avec la complicité de ses (anciens) élèves, Mohamed El Khatib joue la carte du théâtre, sur un plateau quasi nu, et leur demande non pas simplement de décrire et raconter ceux qui les ont élevés, mais aussi de les incarner, quitte à les caricaturer, avec gourmandise, un tantinet. Le spectacle profite alors de cet effet miroir, propre à l’art dramatique, qui renvoie chacun à son propre vécu, à la propre relation qu’il peut, ou a pu, avoir avec ses parents ou, selon les points de vue, avec ses enfants. Des souvenirs, des blessures, des joies, de la mélancolie remontent bel et bien à la surface, mais toujours avec cette douceur, ce tact, cette sensibilité et ce sourire à la commissure des lèvres que le metteur en scène parvient à faire naître, désormais, depuis plusieurs spectacles. En acceptant de mettre leurs albums de famille à la portée de tous, les étudiants de l’Ecole du TNB, d’une cohésion, d’une envie et d’une énergie qui font plaisir à voir, nous ont permis d’ouvrir le nôtre. Difficile de ne pas leur en savoir gré.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Mes parents
Conception et réalisation Mohamed El Khatib, avec la complicité des élèves de la promotion 10 de l’École du TNB
Avec, en alternance, Hinda Abdelaoui, Olga Abolina, Louis Atlan, Laure Blatter, Aymen Bouchou, Clara Bretheau, Valentin Clabault, Maxime Crochard, Amélie Gratias, Romain Gy Alice Kudlak, Julien Lewkowicz, Arthur Rémi, Raphaëlle Rousseau, Salomé Scotto, Merwane Tajouiti, Maxime Thébault, Lucas Van Poucke, Mathilde Viseux, Lalou Wysocka
Collaboration artistique Dimitri Hatton, Mathilde Vallantin Dulac
Son et vidéo Arnaud Léger
Lumières Jonathan Douchet
Scénographie Valentin Clabault, Lalou Wysocka
Costumes Laure Blatter, Salomé Scotto, Mathilde Viseux
Dramaturgie Vassia ChavarocheProduction Théâtre National de Bretagne
Avec le soutien du dispositif d’insertion de l’École supérieure d’art dramatique du TNBDurée : 1h15
Festival d’Automne 2022
Théâtre de la Ville, Paris
Les Abbesses
13 au 23 SeptembreThéâtre Romain Rolland
15 Décembre
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