Avec un double programme composé de No Oco de Loïc Touzé et Static Choc de Maud Le Pladec, le Ballet de Lorraine déploie deux fresques chorégraphiques en miroir, qui dialoguent avec le monde contemporain, malgré des esthétiques aux antipodes.
Le Ballet de Lorraine prouve une fois encore qu’il sait faire le grand écart entre les esthétiques et les types de corporéités. Pour ce programme automnal, le Suédois Petter Jacobsson à la tête de la compagnie de vingt-cinq danseuses et danseurs, invite Loïc Touzé et Maud Le Pladec à investir l’Opéra national de Lorraine. Deux chorégraphes de générations différentes, dont les esthétiques sont aux antipodes : le premier tente depuis les années 1990 de définir les contours de la danse à travers la place de l’interprète, quant la seconde déploie depuis une dizaine d’années une danse percutante aux accents cinématographiques. Ces deux pièces, en miroir, apparaissent comme deux fresques chorégraphiques en résonance avec le monde contemporain qui se répondent et déploient une gestion de l’espace, des rythmes et des mouvements aux textures très différentes.
Le premier tableau s’ouvre sur le flegme de No Oco de Loïc Touzé, puis enchaîne avec le détonant Static Choc de Maud Le Pladec. Chez Touzé, les gestes sont liés, à travers des déambulations lentes, où les interprètes gardent le regard bas, comme endormis, titubant comme vieillards ou se caressant tendrement, les uns sur les autres sur le sol. Ils tracent des chemins chaotiques dans l’espace, soutenus par la musique douce musique d’Éric Yvelin jouée comme en arrière-plan, laissant aussi la place à plusieurs moments chantés, qui nimbe ce tableau d’une tranquillité moelleuse. À l’inverse, l’écriture de Le Pladec scande chaque geste en séquence très brève. Elles s’enchaînent rapidement et avec précision, pour former un tableau mouvant qui s’empare des codes du clip vidéo. On glane au passage quelques références à univers pop : dos rond à quatre pattes de Beyoncé dans le clip Crazy in Love, marches militaires façon Crazy Horse, haka néo-zélandais, marches façon défilés ballroom, mais aussi des rondes évoquant une imagerie de danses folkloriques. Les déplacements y sont géométriques et bien distincts : en cercles, en diagonales pour former une croix centrale, en ligne verticale ou bien répartis dans l’espace face au public, le regard droit, défiant, sur la musique techno percutante de Chloé Thevenin. Là où la lumière est diffuse dans No Oco, elle pulse, presque stroboscopique dans Static Choc. Quant aux costumes ils sont simples et neutres (t-shirt marron, verts et bleu sales dans) dans le premier bigarrés et scintillants, façon streetwear clubbing dans le second.
Ces deux fresques dansées, aux temporalités radicalement différentes – l’une étirée à l’extrême, jusqu’à l’ennui, l’autre frénétique et millimétré – s’éloignent en apparence, mais entretiennent pourtant un dialogue intime. Elles semblent faire écho à deux perceptions du monde qui coexistent, d’une part une mollesse apathique, une attente de la catastrophe annoncée qui se dévoile progressivement, de l’autre un rythme effréné, rendu possible par la circulation rapide des informations, des objets et des personnes. A la manière de deux tapisseries accrochées face à face, faites en matériaux et tissées grâce à techniques totalement différentes, No Oco et Static Choc racontent notre époque et peut-être les paradoxes qui nous animent pour pouvoir l’appréhender.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Static Shot
Chorégraphie : Maud Le Pladec
Musique : Chloé et Pete Harden
Création costumes : Christelle Kocher – KOCHÉ
NO OCO
Chorégraphie : Loïc Touzé
Assistants chorégraphiques : Anne Lenglet et David Marques
Musique : Éric Yvelin
Static Choc en tournée
Le Phénix, Valencienne
Le 4 mai 2023Lundi 10 et mardi 11 juillet 2023
Paris – Musée du Louvre – Festival Paris l’été
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