À Poitiers, Matthieu Roy met en scène la premier version de Tartuffe de Molière censurée et reconstituée par l’historien Georges Forestier et signe un spectacle percutant qui inaugure la Salle Maria Casarès sous les meilleurs auspices.
La voilà la Scène Maria Casarès de Poitiers. Rénovées dans leur écrin originel, les anciennes écuries de la caserne de Montierneuf accueillent depuis le 21 septembre une petite centaine de spectateurs venus assister au Tartuffe de Matthieu Roy. L’excitation propre aux nouvelles aventures est au rendez-vous. Pour le public poitevin, qui découvre une nouvelle salle, adossée à un nouveau restaurant, et voit son offre culturelle élargie. Pour le couple de directeurs, Johanna Silberstein et Matthieu Roy, qui prend le pari que leur formule dîner-spectacle (ou apéro/goûter-spectacle) mise en place tous les étés à la Maison Maria Casarès, en Charente, peut fonctionner à l’année, dans ce bastion étudiant de 90 000 habitants. Alors que l’offre théâtrale y est déjà importante. À l’heure où le spectacle vivant est en pleine disette budgétaire. L’optimisme est rigueur… Mais à en juger par la mine du public après la représentation, celui-ci serait contagieux.
C’est donc Tartuffe, créé l’an passé à la Maison Maria Casarès, qui lance la programmation. Le Tartuffe « director’s cut » pour ainsi dire. À savoir, la version en trois actes, censurée au lendemain de sa création, exhumée par l’universitaire George Forestier ; une version bien plus sombre, autrement plus politique et étrangement plus actuelle que la seconde (Ivo van Hove se l’était appropriée avec la troupe de la Comédie-Française en 2022). Sur le plateau de Matthieu Roy, l’action se déroule dans les années 20, à en juger par les costumes – et en particulier celui d’Elmir (Johanna Silberstein) que l’on croirait échappée d’une fête de Gatsby le Magnifique – et la rutilante Renault NN Normandie 1923 à jardin, où se dissimulera Orgon (François Marthouret), tardant à découvrir les intentions de Tartuffe (Yannick Jaulin).
Ce contexte festif et luxuriant détonne avec la noirceur du drame à l’œuvre, le rendant d’autant plus violent et vénéneux. Comme dans la version officielle, le soi-disant dévot Tartuffe s’immisce dans la maison d’Orgon, ensorcelle le benêt patriarche, profite de sa richesse toute bourgeoise, et, cerise sur le gâteau, tente de séduire sa femme Elmir. Seulement ici, pas de happy end. Tartuffe empoche la mise après un harcèlement sexuel qui vire au viol. Plaquée contre le capot de la voiture, Elmir hurlera le mot consentement (qu’elle ne donnera pas) à plusieurs reprises (en vain), s’imposant comme la vraie victime de la pièce ; victime de la bêtise de son mari et de la sauvagerie de Tartuffe ; victime d’une société où elle ne peut même pas envisager de prendre ses jambes à son cou. Quant à la religion catholique, mise entre de mauvaises mains, celle-ci passe pour une dangereuse secte ensorcelant les plus faibles.
Rendre compte de tels enjeux et donner à éprouver les émotions qui vont avec en une heure à peine n’est pas chose aisée. La réussite de la pièce tient au rythme de la mise en scène, à la simplicité du dispositif et à la lisibilité du jeu des comédiens. Lesquels font sonner les alexandrins et trouvent la juste place de l’humour dans une telle débauche de pulsions violentes. En résumé, ce Tartuffe est du joli travail ; juste, précis, élégant.
Alors, puisque Sceneweb.fr n’est pas un site de critique culinaire, nous nous garderons bien d’émettre un avis sur le dîner (faut-il choisir le risotto ou le sauté de veau… Telle est la question…) !Précisions simplement qu’autour de la table, les discussions s’engagent avec des gens que l’on n’aurait pas l’habitude de rencontrer. Ici, l’ayant droit de Maria Casarès en week-end à Poitiers. Là, une ado fan de Molière, accompagnée par ses parents supporteurs de l’équipe de basket Limoges Cercle Saint-Pierre. Quant aux comédiens, on peut les apercevoir papillonner d’une table à l’autre, claquer la bise, recevoir les compliments, inciter le public à revenir. Avec ces débuts prometteurs, la Salle Casarès a de quoi s’imposer dans le paysage local et surmonter les défis financiers qu’elle devra nécessairement affronter. En attendant, Johanna Silberstein et Matthieu Roy méritent bien leur succès.
Igor Hansen-Løve – www.sceneweb.fr
Le Tartuffe ou l’hypocrite, de Molière.
Mise en scène Matthieu Roy
Adaptation originale Georges Forestier (Éditions Portaparole)
Avec Nadine Béchade, Yannick Jaulin, Anthony Jeanne, Sylvain Levey, François Marthouret, Ysanis Padonou, Johanna Silberstein
Régie générale Thomas Elsendoorn
Durée 1 h
La Scène Maria Casarès
du 21 septembre au 15 octobre 2023
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