Après sa rencontre avec Pauline Bureau, Céline Milliat-Baumgartner mêle son univers à celui de Valérie Lesort. Un tête-à-tête artistique et intime où elle entrecroise les destins de sa grand-mère et de Marylin Monroe, symboliques de la dureté de la condition féminine.
Céline Milliat-Baumgartner n’est jamais aussi à l’aise qu’à contre-courant, celui d’un fleuve familial tumultueux qu’elle remonte inlassablement pour en trouver la source. Dans Les Bijoux de pacotille, déjà, la comédienne, et désormais dramaturge, invoquait des fantômes, ceux de ses parents, décédés prématurément dans un dramatique accident de la route. Sous la direction de Pauline Bureau, elle dépliait une boîte à bijoux, comme on ouvrirait une boîte de Pandore. Façon, pour elle, de se libérer de cette tragédie originelle grâce au pouvoir de ces symboliques breloques, devenues amulettes. Dans la même veine, l’artiste a, cette fois, choisi de monter d’un cran dans l’arbre de ses origines, de s’intéresser à la figure de sa grand-mère et de croiser son destin avec celui d’une star, Marylin Monroe.
A première vue fortuite, cette rencontre ectoplasmique relève de tout sauf de la coquetterie. Outre ce poster de l’icône américaine que Céline Milliat-Baumgartner avait placardé sur l’un des murs de sa chambre d’enfant, les deux femmes sont nées la même année – en 1926 – et représentent les deux faces d’une même pièce, celle de la femme d’après-guerre, dont les velléités émancipatrices commencent à éclore, malgré la toute-puissance de la société patriarcale. Star ou inconnue, iconique ou marginale, elles vivent chacune les mêmes troublants tourments, qu’ils aient trait à la maternité, subie ou désirée, anticipée ou contrariée ; aux hommes, admirateurs ou salauds, fantasmeurs ou bourreaux ; ou au corps, prison dorée ou carcan grimé, objet de désir ou de souffrance. Car, loin de de dresser une hagiographie de l’une et de l’autre, Céline Milliat-Baumgartner révèle leurs versants cachés, ces failles colmatées au forceps pour faire bonne figure, pour que jamais la façade ripolinée n’expose ses fissures.
Sombre, ce substrat pourrait paraître dur s’il ne profitait pas de la mise en scène toute en légèreté de Valérie Lesort. Comme à son habitude, elle décale le regard, impose une direction expressionniste et fait de cette réunion de fantômes une revue musicale, où les passages chantés et le piano de Manuel Peskine occupent une place de choix – même s’ils ont encore besoin d’un temps de rodage pour trouver un rythme véritablement enlevé. Surtout, elle importe avec elle son savoir-faire scénographique, fait de bric et de broc, de trucs et astuces, d’où nait une certaine magie, parfois teintée de noir. Au milieu de ses trouvailles, émergent des images qui laissent leur empreinte, telle cette robe qui, en un frottement, se teinte de sang, ces élastiques qui, apposés sur le visage, miment le diktat esthétique, ou cette armoire normande, qui, en un claquement de portes, se transforme en compartiment de train ou en coffre aux milles jouets.
Loin d’écraser Céline Milliat-Baumgartner, dont le récit d’actrice se croise parfois avec ceux de ses deux aînées, cette composition lui offre un bel écrin pour dérouler sa partition, où la sensibilité et la douceur s’enchevêtrent avec la douleur ancienne des fêlures. Une ambivalence renforcée par la présence ambigüe de la comédienne, à la fois forte et fragile, généreuse et contenue, ancrée dans le plateau et prête à vaciller, en habile équilibre, toujours, sur ce fil tendu entre le passé et le présent, les souvenirs et les mythes, les histoires de trois femmes et l’histoire de toutes les femmes. Emplie de sincérité, de simplicité et d’émotion retenue, la rencontre de ce trio inattendu est aussi, et surtout, celle de deux artistes qui ont réussi à entremêler, avec tact et doigté, leurs univers.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Marylin, ma grand-mère et moi
Texte Céline Milliat-Baumgartner
Mise en scène et scénographie Valérie Lesort
Avec Céline Milliat-Baumgartner et Manuel Peskine
Lumières Jérémie Papin
Costumes Julia AllègreProduction Le Préau, CDN de Normandie-Vire
Coproduction Le Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque ; Le Vivat d’Armentières ; Théâtre de la Manufacture, CDN de NancyDurée : 1 heure
Le Préau, CDN de Normandie-Vire
du 28 septembre au 9 octobre 2021Le Vivat, Scène conventionnée d’Armentières
le 13 octobreLe Bateau Feu, Scène nationale Dunkerque
les 14 et 15 décembreThéâtre du Petit Saint-Martin, Paris
du 11 janvier au 9 avril 2022Bonlieu Scène nationale, Annecy
les 9 et 10 mars 2022
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