Marta Gardolińska à la direction musicale et Laurent Delvert à la mise en scène assurent la toute première version française de Görge le rêveur, une pièce rare de Zemlinsky coproduite par les opéras de Lorraine et de Dijon, sorte de conte initiatique intemporel emprunt d’un romantisme et d’un onirisme à succomber.
D’emblée, il faut saluer la forte ambition des maisons lyriques de Nancy et de Dijon qui œuvrent continuellement à l’enrichissement du répertoire et à la réhabilitation d’ouvrages peu ou pas représentés, comme c’est le cas de Der Traumgörge de Zemlinsky, compositeur de qui sont relativement plus connus Le Nain et La Tragédie florentine, déjà mis à l’affiche de l’Opéra national de Lorraine lors des saisons précédentes.
L’œuvre dont le commanditaire n’est pas moins que le grand Gustav Mahler n’a jamais été montée du vivant de son compositeur. La démission du chef au poste de directeur de l’Opéra de Vienne et l’arrivée d’un successeur qui n’eut cure de poursuivre la création laissèrent l’ouvrage comater dans un sommeil long de plus d’un demi-siècle.
Pour ne pas faciliter davantage l’entreprise déjà complexe de programmer aujourd’hui cette œuvre méconnue et d’envergure colossale, la crise sanitaire que nous traversons et qui oblige la distanciation physique n’a pas permis de restituer la partition telle qu’elle a été composée. Une réduction drastique de l’effectif orchestral requis s’est alors imposée. C’est une réécriture pour formation de chambre signée par Jan-Benjamin Homolka qui est donc interprétée en fosse.
Aussi, l’auditeur n’a accès à la plénitude d’une pate sonore voulue particulièrement opulente par Zemlinsky chez qui les forces orchestrales sont équivalentes à celles d’un Strauss ou d’un Schreker pour ne citer que deux des compatriotes du compositeur. Pour autant, la cheffe Marta Gardolińska d’origine polonaise et installée depuis dix ans à Vienne, met en lumière les nuances et les couleurs infiniment poétiques et parfaitement évocatrices des effusions et irisations impressionnistes que contient cette partition lunaire sans non plus évincer ses puissants accents apothéotiques, et ce dès les premières mesures d’un prologue tout simplement magique qui scintille de mille éclats. Sous sa baguette merveilleuse de sortilèges, l’œuvre est une douce et constante invitation à la rêverie, à l’enchantement. Un véritable sens de la dramaturgie accompagne son geste souple et précis qui met en évidence sans les surligner les changements d’atmosphères musicaux, notamment au deuxième acte où se côtoient élégie amoureuse et obscurcissement brutal.
Saisissante de beauté musicale, l’œuvre pâtit d’un livret un peu bavard mais la fable captive en narrant la question universelle de l’inadaptation au monde et en réhabilitant les marges de la société. L’étrange et touchant Görge a l’imagination fertile et s’enferme dans les pages jaunes et froissées de contes peuplés d’elfes et de fées jusqu’à être raillé par ses compères villageois. Le jour même de ses fiançailles, sa promise (rayonnante Susanna Hurrel) lui préfèrera le bellâtre Hans (solidement campé par Allen Boxer). L’apparition d’une princesse va bouleverser le destin de Görge en l’exhortant à regagner le monde. Celui-ci va alors confronter son idéalisme à une réalité violente et décevante qui pourrait l’anéantir si l’amour porté à Gertraud et la béatitude ne triomphaient in fine.
Ni trop traditionnelle ni pleinement avant-gardiste, la mise en scène de Laurent Delvert illustre avec élégance les multiples collisions entre réalisme populaire, fantastique onirisme et brutalité incendiaire de l’ouvrage qui oscille entre rêve et cauchemar. L’action est symboliquement plantée sur une pente descendante assez drue qui n’aide pas toujours le jeu. D’un champ de hauts blés apparaissent quand la nuit tombe des chimères dénudées au son suave du célesta. Cette nature hospitalière est traversée d’un petit cours d’eau. L’Eden mutera en taverne puis en terrain de chasse à l’homme à mesure que le désenchantement gagne le personnage principal.
Le rôle est justement endossé par le ténor Daniel Brenna, véhément et omniprésent. La voix est claire et fort bien projetée. Sa puissance wagnérienne impressionne. Il n’est dans ce cas nul besoin de pousser davantage d’aussi conséquents moyens ce que le chanteur fait un peu dommageablement au point de rendre certains aigus assez ingrats. Malgré cela, on devine aisément la fort bonne impression laissée par son interprétation de Siegfried dans les Ring de San Francisco, Washington, Stuttgart ou Karlsruhe. A la fois sorcière et princesse, sa bien-aimée est chantée par Helena Juntunen, elle aussi plutôt favorite de rôles vocalement lourds et fort expressifs. Son instrument ne cède pas pour autant à la pesanteur. Il conserve une chaude et constante rondeur. Solistes, chœurs et figurants investis concourent à faire de l’exhumation de Görge le rêveur une belle réussite.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Görge le rêveur
Alexander von Zemlinsky
Opéra en 2 actes avec épilogue
Livret de Leo Feld
Créé le 11 octobre 1980 à l’Opéra de Nuremberg
Première représentation en France
Nouvelle Production
Coproduction Opéra de Dijon
Direction musicale Marta Gardolińska
Mise en scène Laurent Delvert
Görge Peter Wedd
Gertraud/Princesse Helena Juntunen
Grete Susanna Hurrell
Le Meunier Andrew Greenan
Le Pasteur / Matthes n.n.
Hans Allen Boxer
Züngl Alexander Sprague
Kaspar Wieland Satter
Marei Aurélie Jarjaye
L’Aubergiste Kaëlig Boché
La Femme de l’Aubergiste Amandine Ammirati
Orchestre de l’Opéra national de Lorraine
Chœurs de l’Opéra national de Lorraine et de l’Opéra de Dijon
Chefs de choeur Anass Issmat et Guillaume Fauchère
Ouvrage chanté en allemandDurée de l’ouvrage 2h50 avec entracte
Opéra national de Lorraine
mercredi 30 septembre 2020 à 20h
vendredi 2 octobre 2020 à 20h
dimanche 4 octobre 2020 à 15h
mardi 6 octobre 2020 à 20hOpéra de Dijon, les 16, 18 et 20 octobre 2020.
Diffusion sur France Musique le 7 novembre 2020.
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