Metteur en scène phare de la scène française, Joël Pommerat livre une formidable adaptation de la pièce de Pagnol mêlant anciens détenus et comédiens de métier que l’artiste éclaire de son intelligence textuelle et scénique.
« Quand vous serez dehors, on reprendra le spectacle ». C’est la promesse faite il y a cinq ans par Joël Pommerat à Michel Galera, Ange Melenyk et Jean Ruimi, alors détenus à la prison d’Arles où Marius a été créé. Depuis 2014, le metteur en scène mène des ateliers dans cette Centrale du Sud de la France et, après une présentation entre les murs, qui est aussi passée par les Baumettes de Marseille, voilà qu’arrivé au bout des peines, Marius, inspiré de la fameuse pièce de Marcel Pagnol, commence son voyage en liberté. Artiste associé à la Scène nationale de la Coursive, Joël Pommerat présente donc à La Rochelle une traversée d’un monument patrimonial de la culture française (et méridionale), dont la célébrité doit beaucoup à sa version cinématographique d’entre-deux-guerres, ainsi, bien sûr, qu’à sa légendaire partie de cartes et ses « Tu me fends le coeur ». Comme à son habitude, Pommerat y met sa patte, grâce à un travail de réécriture mené à coup d’improvisations et à une direction d’acteurs qui part de la nature de ses interprètes. Comme dans Amours, où l’on découvrait déjà Jean Ruimi et Redwane Rajel, le résultat est bluffant. Le théâtre en sort immensément grandi. Dans la prison des Baumettes rénovée, on construit maintenant une structure destinée à recevoir ateliers et représentations.
Hors de question de regarder ce spectacle uniquement comme une création sortie de prison, mais impossible pour autant d’évacuer cette dimension. Sur scène, on voit des acteurs dont la nature est tout sauf contrefaite, à l’image de leur accent du Sud, des gaillards cassés, empêchés, qui campent des personnages ordinaires aux allures de figures tragiques enfermées en elles-mêmes par le poids de leur passé. En Marius, fils de César tiraillé entre son amour pour Fanny et son désir d’ailleurs, Michel Galera est emmuré dans le silence et ses traumas secrets ; César, Jean Ruimi, qui l’aime de cet amour dévorant qu’ont les parents pour leurs enfants, le cantonne, à son corps défendant, dans son sillage. Troisième grande figure de la trilogie pagnolesque, la seule femme, Fanny, interprétée par Elise Douyère, navigue entre le féminin sacrificiel du patriarcat ordinaire et la sublimation par le renoncement au moment de laisser partir en mer celui qu’elle aime. Dans cette version de 1h15 du premier des trois épisodes, le pittoresque marseillais cohabite donc avec des personnages à la belle profondeur tragique, ballottés par la Fortune dont Redwane Rajel, découvert par Olivier Py, se fait le messager noir, drôle, droit et inflexible comme le destin.
Enracinée dans la nature de ses interprètes, la théâtralité mise en place par Pommerat trouve donc d’inédits équilibres. Entre la matière brute de ses comédiens, la direction d’un metteur en scène qui fait parler les corps et les attentes impensées du public, Marius donne la preuve, s’il en était besoin, que le théâtre n’est pas qu’un lieu d’artifice, de technique et de virtuosité, mais qu’il s’approfondit, devient d’autant plus émouvant qu’il donne corps et voix aux vécus dont il se nourrit. Au drame de Pagnol revisité et épuré, ce Marius confère une résonance à la fois contemporaine et intemporelle, où la place des femmes et l’importance accordée à la réussite sociale et financière s’imposent en arrière-plan de la noueuse question des formes, parfois noires, de l’amour. L’humour y affleure sans cesse, par l’intermédiaire de ces vacheries échangées entre amis du quartier, agrémentées de la finesse d’écriture de Pommerat et du passage obligé de la fameuse partie de cartes que le metteur en scène bascule du cœur au pique.
Dans une scénographie de café boulangerie au naturalisme cinématographique – qui nous rappelle le Saïgon de Caroline Guiela Nguyen, également engagée dans les ateliers de la Centrale d’Arles avec sa compagnie –, Pommerat joue très peu de ses habituels noirs concoctés par Eric Soyer, son créateur lumières, mais installe à la place une histoire en deux épisodes, toute en continuité, toute en simplicité linéaire rythmée par la sonnerie des entrées et sorties du magasin, réaffirmant que son talent est bien celui d’un théâtre autre et bouleversant, à chaque fois renouvelé, parce qu’il s’articule de très près à ceux avec qui il se crée.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Marius
Une création théâtrale de Joël Pommerat
librement inspirée de la pièce de Marcel Pagnol, en collaboration avec Caroline Guiela Nguyen et Jean Ruimi
Avec Damien Baudry, Élise Douyère, Michel Galera, Ange Melenyk, Redwane Rajel, Jean Ruimi, Bernard Traversa, Ludovic Velon
Scénographie et lumières Éric Soyer
Assistants à la mise en scène Lucia Trotta, Guillaume Lambert
Costumes Isabelle Deffin
Création sonore Philippe Perrin, François Leymarie
Direction technique Emmanuel Abate
Direction technique adjointe Thaïs Morel
Construction décors Thomas Ramon -Artom
Accessoires Frédérique Bertrand
Avec l’accompagnement de Jérôme Guimon de l’association Ensuite
Régie générale, plateau Ludovic Velon
Régie son Philippe Perrin, Fanny Schweitzer
Renfort Assistant David Charrier
Régie lumière Jean-Pierre Michel
Régie plateau Ludovic VelonProduction Compagnie Louis Brouillard Coproduction MC93 – Maison de la culture de Seine-Saint-Denis à Bobigny ; La Coursive – Scène nationale de La Rochelle ; Festival d’Automne à Paris ; Théâtre de Brétigny-sur-Orge ; Points-Communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise ; Printemps des Comédiens.
Soutien L’Agora – Scène nationale de l’EssonneCe spectacle n’aurait pas vu le jour sans le soutien logistique, financier et moral de ses partenaires précieux, qui ont permis les restitutions publiques en 2017 au sein de la Maison Centrale d’Arles malgré toutes les difficultés à surmonter : La Maison Centrale d’Arles ; La compagnie Les Hommes Approximatifs ; Le Théâtre d’Arles, scène conventionnée art et création-nouvelles écritures ; La Garance – Scène nationale de Cavaillon ; Jean-Michel Grémillet ; Le SPIP 13 ; La Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires PACA ; La Direction et les personnels de la Maison Centrale ; L’Équinoxe – Scène nationale de Châteauroux ; Le Printemps des Comédiens ; La MC93 – Bobigny ; Le CNCDC de Châteauvallon – Scène nationale ; La Coursive – Scène nationale de La Rochelle ; Le Théâtre Olympia – Centre dramatique national de Tours ; Le Merlan – Scène nationale de Marseille ; La Criée – Théâtre National de Marseille ; Le Théâtre de la Porte-Saint-Martin
Ce projet a été rendu possible grâce au soutien de la Fondation d’entreprise Hermès et de la Fondation Ecart Pomaret.
Durée : 1h15
Vu en mars 2024 à La Coursive, Scène nationale de La Rochelle
MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 29 novembre au 8 décembreThéâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 12 au 14 décembreLa Ferme du Buisson, Scène nationale, Noisiel, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
les 18 et 19 décembreLe Zef, Scène nationale de Marseille
du 8 au 12 janvier 2025Théâtre de l’Union, CDN de Limoges
du 29 au 31 janvierLe Cratère, Scène nationale d’Alès
les 4 et 5 marsComédie de Genève
du 12 au 21 marsLe Parvis, Scène nationale de Tarbes-Pyrénées
les 2 et 3 avrilThéâtre national de Strasbourg
du 23 avril au 3 maiThéâtre + Cinéma, Scène nationale Grand Narbonne
les 6 et 7 maiLe Bateau feu, Scène nationale de Dunkerque
du 20 au 22 maiL’avant-Seine, Théâtre de Colombes
les 10 et 11 juin
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