Au Théâtre du Rond-Point, la comédienne Marie Rémond transforme le parcours du combattant de son amie Hélène Ducharne en portrait sensible et lumineux, qui, par sa délicatesse, force l’admiration.
Dans le milieu théâtral parisien, Hélène Ducharne est ce qu’il convient d’appeler, et osons-le, une attachée de presse en or. D’un professionnalisme hors pair, d’une gentillesse constante et d’une humeur toujours égale, elle est de celles avec qui tout est possible, envisageable, face à des journalistes – critiques pour ne pas arranger leur cas – dont les mille et un « impératifs de dernière minute » sont bien connus. Alors, lorsque la première saison du podcast Superhéros créé par Julien Cernobori est sortie, la rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre avec, souvent, cette pointe de stupeur dans la voix : « Tu savais, toi, ce qui lui était arrivé ? Qu’elle était obligée d’être dialysée trois fois par semaine ? Et qu’elle avait frôlé la mort ? » Pour beaucoup, la négative était, à l’époque, la réponse la plus appropriée car, avant d’accepter de se confier au micro de cet ancien journaliste de Radio France, connu, notamment, pour Le baladeur, la responsable du service presse du Rond-Point n’avait rien laissé paraître et gardé son récit de vie pour ses intimes, convaincue qu’elle pouvait mener de front la vie de « deux Hélène » en une.
Au milieu de la cuisine de son appartement du XXe arrondissement, son parcours commence comme beaucoup d’autres : « Je m’appelle Hélène et je suis née le 13 mai 1970 ». A partir de cette simple phrase, elle lance, en réalité, les hostilités, comme on ouvrirait des vannes rester trop longtemps fermées. Se déploie alors une histoire, la sienne, aux mille ramifications et, bien qu’elle s’en défende farouchement, exceptionnelle à bien des égards. Fille d’une mère au foyer – qui n’aurait pas dû l’être – et d’un père aux trois-huit, héritier sans le sou de la famille de soyeux lyonnais Ducharne, Hélène n’a pas une enfance franchement rêvée. Du haut de ses cinq ans, elle ne s’étonne même plus que sa mère sente le cognac à longueur de journée, qu’elle pique un somme à cinq heures du soir et qu’elle se retrouve de temps à autre avec des côtes cassées – à cause, elle ne s’en rendra compte qu’à sa mort, des coups que son mari lui infligeait.
Surtout, personne ne semble prêter attention à ses problèmes de santé qui, progressivement, se développent. « Hélène se plaint tout le temps », dit-on d’elle, alors qu’un staphylocoque est en train de lui ronger les reins. Plus de dix ans après l’infection, lorsque son mal est diagnostiqué, il est déjà presque trop tard et la dialyse apparaît comme la seule solution, dans l’attente d’une hypothétique greffe, qui, finalement, ne tardera pas. Après des analyses qui révèlent son incompatibilité sanguine avec les autres membres de sa famille, et, chemin faisant, un lourd secret, un rein lui est trouvé en 1987. L’organe tiendra sept ans, avant d’être rejeté ; soit un peu moins que le second qui, au tournant des années 2000, lui offrira dix ans de répit. En 2013, alors qu’on lui avait annoncé que tout espoir d’une nouvelle transplantation était (presque) perdu, son téléphone sonne au petit matin. A l’autre bout du fil, l’équipe médicale du Kremlin-Bicêtre exulte : « On vous a trouvé un rein. Vous avez gagné au Loto ! ». Sauf que cette troisième opération, qui devait la sauver, lui fera frôler la mort et endurcira, encore, son parcours du combattant.
Aussi rude et lourd puisse-t-il paraître, ce récit-confession est, à l’épreuve du plateau, à l’image de sa locutrice : pudique et discret à la fois. Loin de se jucher sur l’Aventin de « ceux-qui-en-ont-vu », Hélène Ducharne, dont Marie Rémond se fait, dans Tout va bien mademoiselle !, la porte-parole, se livre sur le ton de la conversation, presque de l’anecdote, au rythme des grognements de cette machine à café qu’elle ne cesse d’utiliser. Narration à l’état brut, sans jamais avoir l’air d’y toucher, sa parole est juste, sans chichis, ni effets de manche, ce qui ne fait, en définitive, qu’en décupler le puissance et la beauté. Une retenue, sans fausse modestie, que Julien Cernobori a su entièrement respecter. Bien plus qu’un extorqueur de faits croustillants, il est un accoucheur de paroles et a la fine délicatesse de ceux qui admirent au lieu de scruter.
A l’avenant, Marie Rémond et Christophe Garcia se sont appliqués à préserver cette belle simplicité. Leur mise en scène ordinaire d’un intérieur ordinaire au nom d’une femme qui considère avoir un parcours de vie ordinaire ne fait, par habile contraste, que renforcer son caractère extraordinaire. Amie d’Hélène Ducharne, la comédienne, seule en scène, l’incarne avec doigté et parvient, même si elle fait le personnage à sa main, à suggérer la grande sensibilité qui bouillonne sous la cuirasse de la femme forte. Pour autant, elle ne verse jamais ni dans la plainte, ni dans le larmoiement, et transforme plutôt ce récit en leçon de vie qui donne envie de se battre, encore, et, au sortir, de croquer l’existence à pleines dents. Il paraît que c’est là l’une des marques de fabrique des superhéros, dont la force et le courage font l’admiration de tous.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Tout va bien mademoiselle !
de Julien Cernobori et Hélène Ducharne
d’après Superhéros / Hélène, un podcast créé par Julien Cernobori
Adaptation et mise en scène Christophe Garcia, Marie Rémond
Avec Marie Rémond
Scénographie Estelle Deniaud
Vidéo Jérémie Scheidler
Création lumières Anne Terrasse
Son François VatinProduction Arnaud Bertrand – 984 productions
Coproduction Théâtre du Rond-Point
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre NationalDurée : 1h20
Théâtre du Rond-Point, Paris
du 24 novembre au 19 décembre 2021Comédie de Reims
du 18 au 21 janvier 2022Les Bernardines, Marseille
du 22 au 26 février
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !