Richard III, le retour d’un va-t-en-guerre sur les planches

Frédérique Loliée et Marcial Di Fonzo Bo photo Christophe Raynaud de Lage

Plus de vingt-cinq ans après sa prise de rôle au festival d’Avignon dans la mise en scène de Matthias Langhoff, Marcial Di Fonzo Bo recrée à la Comédie de Caen, dans un théâtre flambant neuf, Gloucester Time – Matériau Shakespeare – Richard III et revêt les habits guerriers du tyran boiteux, emblème d’un monde déglingué, en chute libre.

S’emparer en 1995 de Richard III et accoler à son titre le terme « matériau », c’est pour Matthias Langhoff afficher l’évidente volonté de proposer non pas une énième lecture classique de la pièce de Shakespeare mais un travail de fabrication toujours malléable et donc en mouvement, qui échapperait au confort et à la fixité. C’est sans aucun doute dans ce même esprit que Marcial Di Fonzo Bo et Frédérique Loliée reprennent son travail dément et les rôles que leur avait été confiés, sans seulement prétendre à une simple reconstitution. Pour preuve : une nouvelle traduction signée par Olivier Cadiot et une distribution renouvelée. Pour autant, apparaissent toute l’autorité du geste scénique caractéristique du metteur en scène allemand, l’acuité de son regard ironique et sans concession sur la trajectoire d’un fascinant meurtrier mais surtout sur l’exercice du pouvoir dont le personnel royal peu glorieux est tiré vers la caricature et présenté à gros traits assumés. Sans noblesse, le spectacle ne cède pas à la légèreté ou la facilité. En bon héritier brechtien, Langhoff présente les choses d’une manière assez brute et distanciée, sans excès de joliesse, sans pathos, c’est bien net et concret.

La violence, la guerre, la décadence, la destruction sont au cœur du propos. La représentation brasse les styles, traversent les époques, multiplient les anachronismes, mélange les tonalités et se donne l’aspect anarchique et bariolé qu’affectionne toujours Langhoff. Des accents sarcastiques de cabaret et de Grand-Guignol côtoient le registre épique de la tragédie avec en conclusion un tableau de guerre aux dimensions opératiques. Les planches de bois qui constituent l’imposant décor de citadelle assiégée, les toiles peintes et les rideaux, les trappes et les passerelles, tout est mouvant. De la scène aux coulisses, le théâtre est en branle. Un sol instable, actionné par des cordes et des poulies grinçantes, ne cesse de tanguer et menace de tout renverser. Lorsqu’il s’incline en pente sèche, c’est le danger d’une chute imminente qu’il préfigure.

Ce plateau qui s’apparente à une machine de guerre est aussi une machine à jouer, périlleusement et vigoureusement arpentée. Le monde est un théâtre et, plus encore que Richard, c’est le monde qui boite et témoigne de sa fureur comme de sa fébrilité. Sa propension au chaos et à l’inhumanité est symbolisée à la rampe par le rail d’un chemin de fer déposé sur un lit de cailloux.

Marcial Di Fonzo Bo joue Richard III comme un misanthrope tortueux, placide et marginal. Doté d’une force indéniable d’attraction, il est aussi manipulateur féroce que d’une troublante sincérité. Sous son armure guerrière et son long manteau qui rappelle l’uniforme des dictateurs, sa folie belliqueuse et meurtrière est alors rentrée, feutrée. Moins laid et difforme que profondément fébrile et vulnérable, il n’en demeure que plus cinglant et inquiétant. Frédérique Loliée assure une veine plus comique et révoltée en retrouvant son rôle de Margaret bateleuse. Comme à sa création, le spectacle mené tambour-battant bénéficie d’un réel esprit de troupe. La jeunesse des acteurs, qui pleins de ressources, passent de rôles en rôles, irrigue la représentation d’une énergie éclatante. Le travail sur le texte, sur le sens, sur la langue, sur les corps, agiles, toujours en alerte et au présent, rend pleinement incisive et vivifiante l’actualité de ce Richard III restauré.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

GLOUCESTER TIME
MATÉRIAU SHAKESPEARE
RICHARD III
DE WILLIAM SHAKESPEARE
REPRISE DE LA MISE EN SCÈNE DE MATTHIAS LANGHOFF (1995)
PAR MARCIAL DI FONZO BO ET FRÉDÉRIQUE LOLIÉE

Avec Manuela Beltrán Marulanda, Nabil Berrehil, Michele De Paola, Marcial Di Fonzo Bo, Isabel Aimé Gonzáles Sola, Victor Lafrej, Kévin Lelannier, Frédérique Loliée, Margot Madec, Anouar Sahraoui, Arnaud Vrech
Et Claudio Codemo, Grégory Guilbert, Laura Lemaître, David Marain, Thomas Nicolle, Marianne Ségol-Samoy
Et en alternance, Gaston Hamel-Rouyer, Silas Bouvier, Louison Téruel, Tiago Gomez-Quesnel, Martin Murlin, Jules Felismino, Edgar Combrun, Virgile Dolhem

Nouvelle traduction Olivier Cadiot
Collaboration artistique Marianne Ségol-Samoy
Décor et costumes Catherine Rankl
Lumières Laurent Bénard
Perruques, masques, maquillages Cécile Kretschmar
Régie générale David Marain ou Laura Lemaître
Régie de scène accessoires et plateau David Marain ou Thomas Nicolle
Régie de scène lumières Claudio Codemo
Régie son Baptiste Galais
Machiniste Grégory Guilbert
Habilleuse Maud Dufour
Assistante aux costumes Charlotte Le gall
Conseillère à la traduction Sophie Mckeown
Décor construit par les ateliers de la Comédie de Caen sous la direction de Carine Fayola

Production Comédie de Caen – CDN de Normandie
Coproduction La Villette – paris, TNBA – CDN de Bordeaux, Comédie de Genève
PARCOURS EN ACTES – Région Normandie
Avec le soutien du fonds d’Insertion pour Jeunes Comédiens de l’ESAD – PSPBB et le dispositif d’insertion de l’École du Nord, soutenu par la Région Hauts-de-France et le Ministère de la Culture.

Durée: 2h45 avec entracte

Tournée 2022
du 12 au 14 janvier à la Comédie de Béthune
du 1er au 5 février au TNBA, Bordeaux
les 25 et 26 février au Volcan, Le Havre
les 8 et 9 mars au Tangram, Evreux
du 27 au 30 avril à la Comédie de Genève
du 4 au 6 mai à la Comédie de Reims
du 12 au 15 mai à La Villette, Paris