Avec Mama, Ahmed El Attar clôt une trilogie consacrée à la famille en Égypte. Il y questionne avec audace la figure de la mère, n’hésitant pas à souligner son rôle dans la reproduction du système patriarcal.
Dans The Last Supper présenté en 2015 au Festival d’Avignon, Ahmed El Attar mettait en scène un dîner dans la bonne société cairote, après le mouvement populaire amorcé le 25 janvier 2011, qui débouche sur l’éviction du président Moubarak. Un père obsédé par ses investissements financiers, son gendre dont toutes les pensées vont vers l’Amérique, leurs filles et épouses passionnées de shopping y discutaient de tout, et surtout de rien. Cela en évoquant souvent la mère qui n’apparaissait jamais. Et qui semblait ainsi jouer un rôle capital dans le déroulement du repas. Comme son titre l’indique, Mama met cette absente au centre. Autour de la comédienne Menha El Batraoui, une succession de petits drames domestiques met à jour les luttes de pouvoir qui opposent les membres féminins des familles en Égypte.
Plantés au milieu d’un plateau presque vide, des canapés grand luxe disent d’emblée la position sociale de la maison imaginée par Ahmed El Attar : comme dans sa pièce précédente, nous sommes parmi la bourgeoisie égyptienne. Celle dont le metteur en scène dénonçait subtilement le refus des transformations post-révolutionnaires. La crispation sur un ordre des choses basé sur une forte inégalité sociale. Entouré de structures métalliques comme on en trouve dans les chantiers, ce décor réaliste est toutefois placé sous le double signe du doute et de la précarité. De même que la parole qui s’y déploie.
Dans Mama comme dans toutes les pièces créées par Ahmed El Attar depuis 2001 à la tête de sa Temple Compagny, le texte est en effet privé de toute sacralité. Construit à partir d’un collage de textes non-théâtraux, et même étrangers au domaine de la littérature, il donne à la suite de courts tableaux dont est composée la pièce une certaine étrangeté. À peine un peu plus brèves que dans une réalité pas trop détraquée, les répliques échangées par la grand-mère et les différentes personnes qui se succèdent sur le second canapé disent autant des paradoxes de la mère en Égypte que des difficultés d’en proposer une représentation.
Si Ahmed El Attar adopte dans cette pièce une facture un peu plus classique que dans les précédentes, souvent à la lisière de l’installation, on retrouve donc sa grande exigence formelle et intellectuelle. De même que son audace à s’attaquer aux sujets les plus tabous de son pays, où en plus de son travail de metteur en scène il dirige depuis 2012 le festival indépendant D-CAF. Vissée dans son fauteuil d’où elle dicte sa loi – du moins jusqu’à ce que débarque son mari –, la figure maternelle de Mama n’a rien en effet rien d’une sainte ni d’une innocente.
Sans nier les violences dont elle est victime de la part des hommes, Ahmed El Attar donne à soupçonner – une de ses forces est de se placer toujours un peu en deçà de l’évidence – sa responsabilité dans la reproduction du système patriarcal. Houleux, les échanges du personnage principal de Mama avec sa belle-fille (la grande Nanda Mohammad, comédienne syrienne installée en Égypte depuis 2012, avec qui Ahmed El Attar travaille très régulièrement) visent une prise de contrôle de la descendance masculine. Laquelle est l’objet de tous les soins, tandis que le désir des filles est nié. Opprimé. En continuant de creuser dans les zones sombres de la famille égyptienne, Ahmed El Attar rencontre une fois encore les mêmes obstacles. Sans désespérer de les voir un jour céder.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Mama
Texte et mise en scène : Ahmed El Attar
Musique : Hassan Khan
Scénographie et costumes : Hussein Baydoun
Lumière : Charlie AlstromAvec : Belal Mostafa, Teymour El Attar, Menha El Batrawy, Boutros Boutros-Ghali, Mohamed Hatem, Noha El Kholy, Ramsi Lehner, Seif Safwat , Nanda Mohammad, Hadeer Moustafa, Dalia Ramzi, Heba Rifaat, Mona Soliman, Menna El Touny
Production : Orient productions, Temple Independent Theater Company
Coproduction : Tamasi Performing Arts Network, MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny / Festival d’Automne à Paris, Festival d’Avignon, Le Liberté Scène nationale de Toulon, Maison de la Culture de Bourges Scène nationaleAvec le soutien de Agence suédoise de coopération internationale
au développement, Studio Emad Eddin FoundationEn partenariat avec France Médias Monde
Festival d’Avignon 2018
Gymnase du lycée Aubanel
Du 18 au 23 juillet à 18hThéâtre de Choisy-le-Roi – Festival d’Automne
Le 9 octobre 2018MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
Du 11 au 14 octobreMaison de la Culture de Bourges
Les 16 et 17 octobreLe Merlan – Scène nationale de Marseille
Le 10 novembreTNB – Théâtre National de Bretagne
Les 15 et 16 novembreLe Quartz – Scène nationale de Brest
Les 14 et 15 mai
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