Présentée au T2G avec le Festival d’Automne à Paris, la première création française de l’habituellement génial artiste japonais Kurō Tanino voudrait bien troubler, mais s’enlise plutôt dans la banalité.
Maître obscur commence comme une séance de méditation. Plongé dans le noir, le spectateur muni d’un casque audio entend une voix qui lui demande de respirer profondément et d’ouvrir grand les portes de sa mémoire et de son imagination. Il est aussi invité à élucider des petites devinettes sonores : identifier le bruit d’une chips au vinaigre mâchée, percevoir la différence entre l’écoulement de l’eau chaude et de l’eau froide, écouter les bruits de pas qui précèdent l’entrée en scène des personnages. Ils seront cinq individus, trois femmes et deux hommes, d’âges et de profils très différents, mis à l’épreuve d’une situation aussi inexplicable qu’inexpliquée. Réunis sous surveillance dans un intérieur particulièrement vieillot, et sans séduction, tout à la fois salon, salle à manger et chambre à coucher, en bois sombre et tapisseries, aux murs jaunis d’usure ou de crasse douteuse, ils devront se soumettre à un protocole singulier : d’abord, se délester de la combinaison informe avec laquelle ils sont entrés pour se vêtir, dans une pièce attenante, d’une tenue spécialement choisie pour chacun d’eux ; ensuite, suivre les instructions dictées par la voix surplombante d’une intelligence artificielle – celle de Jean-Luc Verna, douce et loquace – qui impose, valorise ou réprimande leurs agissements comme leurs comportements.
Cette configuration, qui rappelle celle d’une émission de télé-réalité, s’offre comme un espace expérimental où se joue et se réfléchit un possible être ensemble totalement contrôlé. Ancien psychiatre, le dramaturge et metteur en scène Kurō Tanino interroge l’emprise et la manipulation des consciences. Les participants ne se connaissent pas. Ils doivent apprendre à se rencontrer, à communiquer, avec plus ou moins de succès tant ils s’exécutent avec peu d’avenant. L’absence de communication et de coopération entre les pensionnaires, qu’on devine ébranlés par l’existence, est notoire. Ils se présentent murés dans leur solitude, affairés aux bien menues tâches domestiques qui leur sont attribuées telles que faire le café, griller des toasts, préparer la soupe, cuire un steak… La cuisine est décidément un tropisme bien signifiant dans le théâtre de Kurō Tanino.
L’artiste japonais reprend un dispositif qu’il avait déjà utilisé pour plonger acteurs et spectateurs dans son univers très singulier. Pourtant, ce spectacle diffère dans sa réception de ceux que le metteur en scène avait précédemment présentés en France, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris et à Gennevilliers. À l’hyperréalisme caractéristique de son geste, viennent habituellement s’adjoindre une étrangeté et même une magie qui l’extraient du quotidien, celles des vapeurs ouatées et sulfureuses des bains thermaux situés au cœur des montagnes volcaniques du Japon dans l’envoûtant Avidya – L’Auberge de l’obscurité ; celles des chaudes fumées de cuisine d’où émanent les effluves de senteurs parfumées de savoureux mets dans The Dark Master. Autant de pièces qui ménageaient des moments de pure beauté, de drôlerie, d’émotion, de transgression, de sensualisme qui ne se retrouvent guère dans la production très poussive et prosaïque qui vient d’être créée au T2G.
Les acteurs sont bons, quoiqu’ils paraissent parfois un peu éteints. En tête de la distribution, Gaëtan Vourc’h se démène, emperruqué et dégingandé, en jouant une partition relevant d’un registre drôlement insolite et loufoque qu’il connaît et maîtrise parfaitement pour l’avoir souvent exploré dans des spectacles de Philippe Quesne. Mais il manque à l’action et aux personnages une véritable étoffe pour réellement intriguer et captiver.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Maître obscur
Texte et mise en scène Kurō Tanino
Traduction Miyako Slocombe
Avec Stéphanie Béghain, Lorry Hardel, Mathilde Invernon, Jean-Luc Verna, Gaëtan Vourc’h
Collaborations artistiques Masato Nomura, Kyoko Takenaka
Scénographie Michiko Inada
Lumières Diane Guérin
Son Vanessa Court
Vidéo Boris Van Overtveldt
Accessoires Zoé Hersent
Construction décor Théo Jouffroy – Ateliers du Théâtre de GennevilliersProjet organisé par le T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National ; la Fondation du Japon et Arche LCC
Production T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National
Coproduction Comédie de Genève ; Festival d’Automne à Paris ; Bonlieu Scène nationale AnnecyLe T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National et le Festival d’Automne à Paris sont coproducteurs de ce spectacle et le présentent en coréalisation.
Durée : 1h30
T2G Théâtre de Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 19 septembre au 7 octobre 2024CDN Orléans / Centre-Val de Loire
les 16 et 17 octobre
Bonlieu Scène nationale d’Annecy
du 6, au 8 novembre
Comédie de Genève
du 5 au 7 février 2025
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