Avec Lucy in the sky est décédée, l’autrice et metteure en scène tente de mêler la petite et la grande Histoire, de faire se répondre une passion contemporaine et une humanité ancestrale. Las, elle accouche d’une fiction un brin fumeuse, dont les longueurs vampirisent l’énergie et le rythme.
A première vue, la scène ressemble à une chambre d’étudiant un peu spartiate. Y sont disposés un bureau premier prix, quelques chaises du même acabit et un vulgaire matelas ; au mur, sont accrochés une étagère et, juste en-dessous, un lot d’outils peu courants, comme ceux que les archéologues utilisent quand il faut creuser le sol avec minutie. Un sol qui, justement, contrairement au reste de l’endroit, n’a rien de commun. Recouvert de roches grises, aux contours grossiers, le plateau a l’allure d’un reg, ces déserts de pierres que l’érosion n’a pas encore définitivement transformées en sable, et bientôt d’un champ de fouilles, capable de traverser les espaces et les temps, de la découverte de Lucy en 1974 au funeste mois de septembre 2001.
Comme toujours chez Bérangère Jannelle, la scénographie ne fait pas office de simple décor. Elle est un élément-clé, moteur, et a une influence capitale sur ce qui se joue. Tantôt appartement parisien de la rue de Paradis, tantôt grotte argentine, l’espace minéral soumet les comédiens à rude épreuve. Equipés de chaussures de marche, les voilà contraints d’évoluer en équilibre précaire, tout comme leurs personnages à qui la vie n’a offert aucune assurance. Paléoanthropologues de cœur et de formation, Isis, Abel et Luc forment un trio amoureux passionné et passionnel. Chaperonnés par le professeur Brunet – double fictif du paléoanthropologue Michel Brunet dont Bérangère Jannelle s’est inspirée –, ils voient leur existence rythmée par leur amour, mais aussi par des découvertes capitales pour mieux comprendre l’histoire de l’humanité, telle celles de Toumaï au Tchad ou de La Cueva de los manos, ce site préhistorique argentin aux murs recouverts de mains négatives. Aux prises avec ce passé ancestral, ils sont aussi des jeunes de leur temps, celui des années 1990, où ils apprennent à grandir et à trouver leur voie, fougueuse pour les uns, secrète pour les uns, jusqu’à ce qu’un malheur survienne, endeuille et fracture leur trio.
A partir de ce bel écrin poético-réaliste, Bérangère Jannelle déroule, malheureusement, une fiction un peu convenue et fumeuse, loin, très loin du vertige qu’elle ambitionnait de créer. Sans que l’on ne comprenne jamais vraiment ni son intérêt, ni ses objectifs, le récit s’épuise à force de traîner en longueur. Poussif, engoncé dans sa mélancolie, il mériterait d’être drastiquement resserré pour éviter de se perdre, et de nous perdre, dans des dédales qui, rapidement, en dévorent l’énergie et en vampirisent le rythme. A la petite comme à la grande Histoire, l’autrice n’a, en définitive, pas réussi à donner d’épaisseur. Alors que la passion amoureuse peine, au plateau, à produire ses effets, les « grandes questions philosophiques de l’humanité » qu’elle souhaitait aborder grâce à la paléoanthropologie ne semblent jamais à portée de main et traitées trop superficiellement pour éveiller une quelconque réflexion.
Reste, alors, le quatuor d’acteurs. Malgré ce substrat textuel insuffisamment charpenté, ils réussissent à offrir un peu de relief aux personnages qu’ils incarnent. Fidèle comédien de Stanislas Nordey, Thomas Gonzalez campe un Luc aux failles aussi béantes que touchantes, quand Rodolphe Poulain – fidèle, quant à lui, de Vincent Macaigne – parvient à donner un léger grain de folie au paternaliste professeur Brunet. Doté d’une partition plus discrète, Félix Kysyl paraît, logiquement, en retrait, tandis que Jade Fortineau peine à sublimer l’aura mystérieuse de la belle Isis. Il est, toutefois, bien difficile de lui en vouloir tant le travail final de Bérangère Jannelle, pourtant bourré de bonne volonté, parait éloigné de ses ambitions premières.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Lucy in the sky est décédée
Texte et mise en scène Bérangère Jannelle
Avec Jade Fortineau, Thomas Gonzalez, Félix Kysyl, Rodolphe Poulain
Scénographie Heidi Folliet
Lumière Christian Dubet
Son Jean-Damien Ratel
Vidéo Thomas Guiral
Costumes Laurence ChalouProduction La Ricotta
Coproduction MC2 : Grenoble, Maison de la Culture d’Amiens – Pôle européen de création et de production
Avec le soutien du Fonds SACD théâtre, de la SPEDIDAM, du Théâtre Gérard-Philipe – CDN de Saint-Denis, du Théâtre de la Commune – CDN d’Aubervilliers
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
La Ricotta est soutenue par le ministère de la Culture, la Drac Centre-Val de Loire et la Région Centre-Val de LoireDurée : 1h55
Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis
du 6 au 22 mars 2020MC2 : Grenoble
du 7 au 10 avril 2020Maison de la Culture d’Amiens
les 12 et 13 mai 2020
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