Dans L’Âne et la carotte, le co-fondateur du collectif Galapiat Cirque Lucho Smit propose « une petite mise en abyme de l’humanité, du cirque et de son histoire ». Un programme ambitieux, qui n’échappe pas à une forme de prétention. Et ne s’élève pas au-delà des évidences.
Né au début des années 1990, le nouveau cirque traverse sa crise de la trentaine. Tandis que les acteurs des débuts, issus pour beaucoup du Centre National des Arts du Cirque (CNAC) fondé en 1983 à Châlons-en-Champagne, commencent à tirer leur révérence, les nouvelles générations s’interrogent. Elles tentent de faire le point sur le chemin parcouru jusque-là par la discipline, et de dessiner ses perspectives futures. L’édition 2020 du festival Spring (5 mars – 5 avril 2020) se fait largement l’écho de ce phénomène. Dès son ouverture, les deux spectacles programmés témoignent de l’ampleur du questionnement, et des formes diverses qu’il revêt. Dans Cadavre Exquis, dont nous parlons ici, Elodie Guezou interroge la place de l’interprète dans le milieu du cirque, et propose d’en bouleverser les hiérarchies. Co-fondateur du collectif Galapiat Cirque, qui signe cette année le spectacle de sortie d’école du CNAC, Lucho Smit opte quant à lui dans L’Âne et la carotte pour une petite analyse critique de la jeune histoire des nouveaux arts de la piste, mots et gestes à l’appui.
À travers une voix qui commentera la plupart de ses actes, Lucho Smit affirme d’emblée son ambition : dans sa nouvelle création, qu’il mature depuis une dizaine d’années, il entend faire « une petite mise en abyme de l’humanité, du cirque et de son histoire ». Autrement dit, précise-t-il dans le journal de La Brèche, Pôle National des Arts du Cirque de Cherbourg où il a été accueilli en résidence et où il a créé L’Âne et la carotte le 5 mars, il « souhaite renvoyer au public l’image de ce qu’il est en train de regarder, lui donner des clés de lecture et expliciter ces conventions, propres au cirque et tellement installées qu’il n’y pense même plus ». Doublée d’une déception, voire d’un mépris quant à l’évolution récente du nouveau cirque, cette pédagogie place le spectateur dans une situation d’infériorité non seulement physique, mais aussi intellectuelle, par rapport à l’artiste. Pour finalement en rester au niveau des généralités.
Le cours est divisé en deux parties. Dans la première, Lucho Smit se livre à toute berzingue à de petits exploits inspirés de près ou de plus loin par des numéros récurrents dans le cirque traditionnel. Tel un Moïse de la piste, il commence par traverser son espace de jeu sur une rangée de chaises dangereusement empilées. Le feu s’en mêle, il forme un cercle dans lequel l’intrépide et dégingandé Lucho Smit se précipite et dont il ressort indemne, avant de préparer une crête Suzette sur un plan de travail posé sur une bouteille de gaz, façon Cirque Inextremiste. Les citations de ce type se multiplient, tandis que le circassien continue de déployer ses talents multiples, sans faire l’impasse sur ses fragilités. Il ne recule pas non plus devant le ridicule, par exemple lorsqu’il exécute un numéro de cow boy et monte tête bêche à une corde. Ou quand, avec l’air de se donner à fond, il s’emploie à faire des figures au trapèze, qui n’est manifestement pas son agrès de prédilection.
On l’aura d’autant mieux compris que la voix off continue sa pédagogie, Lucho Smit récapitule ainsi des décennies de cirque traditionnel en une poignée de minutes, avec un certain humour. Après quoi L’Âne et la carotte entre dans sa seconde phase. Sans surprise, c’est au tour du nouveau cirque de passer au crible du regard moqueur et désabusé de l’acrobate, qui pour l’occasion se révèle aussi jongleur. Objectif : montrer à son public vraisemblablement ignare sur le sujet – ce qui est méconnaître, ou plutôt faire comme si, la composition du public du nouveau cirque – combien le concept prime aujourd’hui sur l’interprète. Démonstration qui se poursuit, et s’achève par une longue ascension de chaises remarquable sur le plan de la prouesse, moins sur celui de la pensée. Dans L’Âne et la carotte, la sensation d’épuisement du nouveau cirque est présentée comme une impasse. Illustration littérale de l’image portée par le titre, l’image finale de la pièce confirme et signe ce constat. Sans appel.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
L’âne & la carotte
de et avec Lucho Smit
Garçon de piste : Frédéric Vetel
Création lumière : Gautier Gravelle
Régie générale : Loïc Chauloux
Costumes : Héloïse Calmet
Regard extérieur jonglage : Harm van der Laan
Regard extérieur textes : Émilie Bonnafous
Constructions : Guillaume Roudot
Production & Diffusion : Camille Rondeau
Administration : Yvain Lemattre et Camille Rondeau
Remerciements : Danielle Le Pierrès, Federico Robledo, LucceCoproductions & Accueils en résidence :
Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg (50) ; La Villette (Paris – 75) ; Le Carré Magique – Pôle National des Arts du Cirque en Bretagne (Lannion – 22) ; École Nationale de Cirque de Châtellerault (86) ; Les 3T-Scène conventionnée de Châtellerault (86) ; Espace Périphérique (Mairie de Paris – La Villette – 75) ; ONYX-La Carrière – Scène conventionnée danse et arts du cirque (Saint-Herblain – 44) ; Cirk’Eole (Montigny-lès-Metz – 57) ; AY-ROOP (Rennes – 35) ; TRIO…S – Scène de territoire pour les arts du cirque (Inzinzac-Lochrist – 56) ; Espace La Maillette (Locminé – 56).PREMIÈRE LE 5 MARS 2020 à La Brèche, Pôle National Cirque de Normandie en partenariat avec Le Trident, Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin (50),
dans le cadre de SPRING, festival des nouvelles formes de cirque en Normandie (proposé par la Plateforme 2 Pôles cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf).Création tout public pour salles et chapiteaux
Durée : 1h10La Villette – Cabaret sauvage
du 29 septembre au 17 octobre 2021
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