Louise Vignaud adapte L’Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza (1924-1996). Elle échoue à rendre sensible la personnalité singulière et révoltée qui s’exprime dans ce récit carcéral guidé par un profond désir d’amour et de vérité.
En adaptant L’Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza après avoir porté sur scène Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas, Louise Vignaud affirme son goût pour les enquêtes sociales. Elle dit son désir de faire du théâtre un lieu où regarder des personnes que l’on ne voit pas d’habitude, des exclus du débat public et de la sphère médiatique. Avec la journaliste française d’aujourd’hui, qui témoigne dans son livre de son immersion dans le quotidien d’une demandeuse d’emploi de longue durée, l’auteure sicilienne d’hier partage en effet une curiosité aiguë pour les oubliés de sa société, en particulier pour les femmes en marge. Dans L’Université de Rebibbia, qui la fait connaître en Italie en 1983 alors que son œuvre aujourd’hui la plus célèbre, L’Art de la joie, continue d’être refusée par tous les éditeurs, Goliarda Sapienza relate son séjour parmi les femmes de la prison de Rebibbia à Rome, qu’elle décrit comme « une planète inconnue qui tourne pourtant dans un orbite si proche de notre ville ». C’est pour découvrir cet univers, autant que pour échapper au sien, que l’auteure atterrit à Rebibbia.
La singularité du récit carcéral de Goliarda Sapienza, qu’elle présente explicitement comme étant autobiographique, doit beaucoup à la part volontaire de son enfermement. Elle le formule dans son texte en ces termes : « Les jeunes ont raison de méfier de nous, la vieille garde de gauche, et alors j’ai volé quelque chose à l’une de ces pseudo-dames du monde, pour la punir ». On apprend dans l’édition du Tripode, engagé depuis 2012 dans l’édition des œuvres complètes de Goliarda Sapienza – on doit notamment à cet éditeur la publication des passionnants Carnets de l’écrivaine, dont la prison de Rebibbia est l’un des motifs récurrents –, la nature des objets subtilisés : un collier et une bague antiques, revendus par la voleuse « à moins d’un dixième de leur valeur en utilisant le passeport de Modesta Maselli (la sœur de Citto Masseli, son ancien compagnon). L’histoire des bijoux est bien présente dans la pièce de Louise Vignaud. Les motifs du vol, par contre, ne sont à aucun moment expliqués ni même suggérés par Prune Beuchat dans le rôle de Goliarda Sapienza, ni par les quatre comédiennes (Magali Bonat, Nine de Montal, Pauline Vaubaillon, Charlotte Villalonga) qui portent avec elle l’adaptation.
Privée de ses troubles motivations, la Goliarda Sapienza du spectacle peine à exister fortement. Les bribes de récit que Prune Beuchat partage en adresse directe, alors qu’ils sont dans le livre de l’ordre de la pensée intime, silencieuse, témoignent peu du mélange de curiosité, de joie et de colère qui traversent l’œuvre de l’Italienne. Alors qu’il est très précis, très complexe dans le texte, le rapport de la narratrice à son environnement et à celles qui l’habitent se résume dans Rebibbia à une sorte d’étrangeté jamais vraiment caractérisée. Si la Goliarda de la pièce semble toujours un peu à côté de ce qui se joue autour d’elle, peu de choses expliquent cette distance, au centre pourtant du regard très particulier que porte la Goliarda du livre sur toutes les personnes qu’elle côtoie lors de son séjour qui semble durer des mois, qui ne s’étend en fait que sur cinq jours. Mais cinq jours qui vont changer une vie, en la remettant paradoxalement sur le chemin de la liberté. Ce rapport particulier au temps, rythmé par les promenades, les repas et les discussions entre détenues, apparaît peu dans la pièce. Malgré son alternance entre monologues adressés, scènes collectives et passages de récits d’autres détenues en voix off, celle-ci échoue à trouver une expression scénique du temps très subjectif de la prison telle que la vit Goliarda Sapienza.
La protagoniste centrale n’est pas la seule à perdre de sa densité dans l’adaptation de Louise Vignaud. Parce qu’elles sont regardées, racontées par elles, toutes les femmes de Rebibbia dont il est question dans le texte subissent sur scène la même simplification. Si l’on retrouve la jeune fille enceinte du livre, sa vieille Marylin, son drôle de James Dean version féminine, sa droguée ou encore ses prisonnières politiques – les quatre comédiennes citées plus tôt endossent chacune plusieurs rôles –, elles s’expriment au plateau d’une façon souvent stéréotypée. Cela tient en partie au choix de la metteure en scène de réduire la part des éléments qui ancrent le texte dans son époque et sa géographie : l’Italie des années de plomb qui, lit-on dans la préface du Tripode, « se manifestent dans le pays par l’émergence de plusieurs organisations révolutionnaires d’extrême gauche (les Brigades rouges) et la multiplication d’actions violentes (ces dernières culmineront avec l’enlèvement et le meurtre, en 1978, de l’ancien chef du gouvernement italien, Aldo Moro) ». À trop vouloir rendre universel le microcosme de la Rebibbia, Louise Vignaud en perd la voix, belle et unique.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Rebibbia
D’après L’Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza
L’Université de Rebibbia est paru dans la traduction de Nathalie Castagné aux éditions Le Tripode.
Rebibbia se veut une adaptation libre de ce récit, elle n’engage que ses auteurs.Adaptation : Alison Cosson, Louise Vignaud
Ecriture : Alison Cosson
Mise en scène : Louise Vignaud
Avec : Prune Beuchat, Magali Bonat, Nine de Montal, Pauline Vaubaillon, Charlotte Villalonga et la participation de Réjane Bajard, Anne de Boissy, Djoly Gueye, Julie Guichard, Sarah Kristian, Marilyn Mattei
Scénographie ; Irène Vignaud
Lumières : Luc Michel
Costumes : Cindy Lombardi
Son : Clément Rousseaux
Vidéo : Rohan Thomas
Assistanat à la vidéo : Marina Masquelier
Assistanat à la mise en scène : Sarah Chovelon
Direction technique, régie générale de la compagnie : Nicolas Hénault
Régie lumière : Lou Morel, Henri Coueignoux
Régie plateau : Irène Vignaud
Atelier costumes Émilie Camara
Coiffure, maquillage : Judith Scotto
Administration : Céline Martinet
Presse : Dominique Racle
Tournée et diffusion : Lison Bellanger
Production : Compagnie La Résolue, conventionnée par la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes et subventionnée par la ville de Lyon en coproduction avec le Théâtre National Populaire – Villeurbanne, le Théâtre du Vellein – Villefontaine, Le Grand Angle – Voiron avec l’aide à la création de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes et de la région Auvergne-Rhône-Alpes avec le soutien de l’Adami et de la Spedidam.
Durée : 1h40
Théâtre de la Tempête – Paris
Du 5 au 16 janvier 2022
Domaine d’O – Montpellier
Les 20 et 21 janvier 2022
Théâtre du Vellein – Villefontaine
Le 25 janvier 2022
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