La suspension est son mode d’expression. Artiste circassienne, Chloé Moglia déploie son art dans toutes les dimensions de l’espace au rythme d’un subtil équilibre et d’un dialogue avec le vide. Dans L’Oiseau-lignes, elle partage la scène avec Marielle Chatain à la musique et use du dessin pour élargir le spectre de sa recherche. Le résultat est sidérant de correspondances sensibles, un corps-à-corps hypnotique avec l’air et la matière.
Elle entre en scène pieds nus, en simple tee-shirt et pantalon près du corps, et se plante face à nous un instant. Comme un pacte. Un acte posé là. Celui du regard croisé, de l’attention partagée. Un point de départ, une entrée en matière et en mouvement. L’Oiseau-lignes peut alors dérouler son fil, tracer son chemin, sans précipitation, à son rythme. Chloé Moglia pratique l’art de la suspension avec une maîtrise infaillible, un penchant pour le vertige et l’attrait du vide. Sa carrure en porte la trace. Épaules larges, bras musclés, son corps est fuselé par une discipline circassienne assidue. Dans sa main, un bâtonnet blanc. C’est une craie, et c’est l’un des principaux éléments de cette performance aussi ludique que contemplative.
À ses côtés, Marielle Chatain, compositrice, vient se poster d’emblée à l’avant-scène avec sa table de machines, comme pour mieux affirmer la place du son et de la musique dans ce spectacle. Essentielle. L’Oiseau-lignes développe en effet trois dimensions scéniques à parts égales : graphique, physique et musicale. Les trois se tressent et s’imbriquent pour former la matière protéiforme d’un spectacle aussi sensitif que sensationnel où domine le mouvement sans que celui-ci ne soit tonitruant. Mouvement des corps, bien sûr, des traits et formes qui se nouent et se dénouent sous nos yeux ; mouvement de la scénographie qui évolue au fur et à mesure, sans cesse agie par les forces en présence et la magie de la technique ; mouvement de la bande-son, enfin, qui égrène ses voix d’enfants, déploie son atmosphère, module son intensité et superpose les couches sonores pour accompagner, dans toute son épaisseur d’ondes vibratoires et sa dynamique rythmique, la traversée. Partition musicale musculaire, elle aussi.
Au début, il n’y avait rien, rien qu’un mur noir en cinémascope, opaque et sans histoire ; puis, des figures, des silhouettes, des visages, des poissons tout du long d’une ligne qui se forme depuis l’alpha jusqu’à l’oméga, discontinue d’abord, continue ensuite, brisée enfin. Ligne chronologique, frise de l’évolution allant de la première à la dernière lettre de l’alphabet grec, des débuts du monde à la fin des temps. Et au milieu, l’éternité ; puis, le chaos ; et enfin, les oiseaux. Comme un renouveau. Tour à tour, Chloé Moglia et sa partenaire Marielle Chatain s’emparent de ce terrain d’expression et de métamorphoses, large paroi propice à l’avènement d’un art pariétal ancestral, d’un art urbain contemporain, d’une pratique du dessin en grand qui s’inscrit dans le présent de la représentation. Et le mur nu de devenir mur vivant. Mur d’escalade également que Chloé Moglia gravit avec humour et une facilité confondante.
Faire le mur pour aller plus haut, atteindre la barre qui le surplombe et fait écho en miroir à la ligne du bas. Les deux mondes cohabitent dans un reflet inversé saisissant : espace terrien, espace aérien. Chloé Moglia devient oiseau sur la branche qui avance à bout de bras, à l’envers, à l’endroit, le corps enroulé autour, testant les configurations tandis que son support se démantèle à l’unisson, créant la surprise et l’effroi dans le public, suspendu lui aussi, au moindre geste. « On dirait qu’elle flotte », nous glisse notre voisin de gauche, tout à son émerveillement d’enfant, puis, à un autre moment : « C’est Tarzan ». Un être hybride du moins, mi-humain, mi-volatile, qui ne cherche en aucun cas le mimétisme, mais défie la pesanteur, marche dans les airs en prenant le temps de décortiquer chaque geste. Leste, puissante, dessinant dans l’espace des figures surprenantes. Et c’est tout son corps qui se fait dessin, de même qu’auparavant, une craie pour baguette magique, elle donnait vie à une cosmogonie en noir et blanc et, dans l’élan de son corps créateur, inventait une danse-dessin jusqu’à la transe.
L’Oiseau-lignes fait de la suspension un état de grâce sur une durée continue et discontinue à la fois, et crée des passerelles aussi physiques qu’intellectuelles entre ses différents outils et agrès. C’est un poème visuel qui reprend son souffle entre l’horizontal et le vertical, un bain musical qui aspire les aigus et les graves, un duo accordé jusqu’à la moelle.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
L’Oiseau-Lignes
de et avec Chloé Moglia, Marielle Chatain
Direction artistique Chloé Moglia
Création musicale Marielle Chatain
Dispositif sonore Valérie Bajcsa
Création lumière Coralie Pacreau
Costumes Clémentine Monsaingeon
Scénographie Équipe Rhizome
Ligne de suspension (conception et réalisation) Éric Noël, Silvain Ohl
Régie plateau Philippe Marie
Régie son Valérie Bajcsa
Régie lumière Coralie PacreauProduction (2019) Rhizome
Partenaires, coproduction, accueils en résidence CCN2 – Centre chorégraphique national de Grenoble, Le Quartz – Scène nationale de Brest, Les Scènes du Golfe – Théâtres Vannes Arradon, Théâtre national de Bretagne, La Passerelle – Scène nationale de Saint-Brieuc
Aide à la création DGCA ministère de la Culture
Soutien de la Fondation BNP Paribas, abritée par la Fondation de FranceRhizome est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC Bretagne et bénéficie pour le développement de ses projets des soutiens de la Région Bretagne et du Département du Morbihan. Rhizome et Chloé Moglia sont associées aux Tombées de la Nuit à Rennes et sont compagnonnes du Théâtre de Lorient – Centre dramatique national.
Durée : 1h
Théâtre du Rond-Point, Paris
du 8 au 13 avril 2025Les Gémeaux, Scène nationale de Sceaux
du 22 au 24 mai
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