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L’Odyssée des limbes de Krzysztof Warlikowski

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Krzysztof Warlikowski crée L'Odyssée Une histoire pour Hollywood à La Comédie de Clermont-Ferrand puis à la Colline
Krzysztof Warlikowski crée L'Odyssée Une histoire pour Hollywood à La Comédie de Clermont-Ferrand puis à la Colline

Photo Magda Hueckel

En croisant le chef d’œuvre d’Homère et deux ouvrages d’Hanna Krall, Le Roi de cœur et Roman pour Hollywood, le metteur en scène polonais interroge l’impossibilité et l’irreprésentabilité de la vie dans le monde d’après la Shoah, et ouvre un abîme vertigineux.

A la manière de Patrick Boucheron qui, dans la série de cours qu’il dispense au Collège de France depuis le mois de janvier dernier, ausculte les sociétés, les vies, les Hommes dans le monde d’Après la peste noire, ou plutôt depuis le désastre et d’après lui, Krzysztof Warlikowski sonde, à l’échelle individuelle, dans L’Odyssée. Une histoire pour Hollywood, le monde d’après la catastrophe, depuis un autre « anéantissement », la Shoah. Il évalue son impact sur les êtres, sur leur capacité à (sur)vivre après le traumatisme et sur le caractère représentable, ou non, de leurs souffrances. Comme on plongerait dans les limbes peuplées de corps et d’âmes errantes, où, contrairement à ce qu’indique l’horloge atomique présente au plateau, le temps ne défile plus, mais est distordu, où, comme l’écrit Emmanuel Levinas dans Le Temps et l’Autre, « le présent est soudé au passé ».

Pour tenter de saisir cette situation ténue, et, par essence, difficilement palpable, le metteur en scène polonais entremêle deux destins, comme autant d’impossibles retours, celui d’Ulysse à Ithaque et celui de Shayek auprès de sa femme, Izolda, qui s’est échinée à vouloir le faire sortir du camp de Mauthausen, jusqu’à être, elle-même, déportée à Auschwitz. Au premier, composé d’après L’Odyssée d’Homère, Krzysztof Warlikowski donne d’entrée de jeu l’apparence de l’étranger, à ce point transformé par « l’aventure humaine, l’histoire qui ne finit jamais » que Pénélope et ses enfants ne le reconnaissent plus franchement, comme si son rapport aux Hommes s’était brisé à force d’avoir côtoyé les Dieux ; du second, extrait du Roi de coeur que Hanna Krall a écrit d’après le récit de vie d’Izolda, il fait un autre Robert Antelme, revenant anéanti des camps, que sa femme, en dépit de tous ses efforts pour le retrouver, n’est pas heureuse de revoir. Contre toute attente, Ulysse et Shayek d’un côté, Pénélope et Izolda de l’autre, se font alors face, sans se croiser, dans un jeu de miroirs cruel, tels des êtres empêchés.

Procédant, comme souvent, selon une logique fragmentaire, qui oblige à s’accrocher tant elle fonctionne à la manière d’un puzzle qui ne livrerait son mystère qu’une fois l’ensemble des pièces assemblées, Krzysztof Warlikowski n’en reste pas là. Comme pour mieux les mettre en relief, il relie ces deux existences brisées à d’autres précipités, issus notamment de la vie d’Izolda. De l’Izolda jeune qui prend tous les risques pour tenter d’enlacer à nouveau son mari, mais aussi de l’Izolda d’âge mûr qui livre son récit à Hanna Krall avec le fol espoir qu’Hollywood s’en empare et en fasse un film avec Elizabeth Taylor dans le rôle principal. Façon, pour elle, d’accéder à cette immortalité que Calypso avait, en son temps, tenté d’offrir à Ulysse. Façon, aussi, pour Krzysztof Warlikowski de faire pousser des ramifications sur les branches principales, de convoquer Arendt et Heidegger qui se retrouvent, en 1950, dans les montagnes de la Forêt Noire, d’imaginer les discussions entre Elisabeth Taylor, Robert Evans et Roman Polanski autour de ce film qui jamais ne se fera, d’interpeller Claude Lanzmann qui confesse qu’il a mis en scène la séquence marquante du « coiffeur de Treblinka » dans Shoah, de faire ressurgir Calypso dans l’esprit d’Ulysse, ou d’invoquer le Dibbouk auprès des survivants juifs.

Digressive à souhait, cette construction n’en garde pas moins une belle cohérence dans sa manière de faire dialoguer ces moments où, toujours, l’existence achoppe. L’existence, mais aussi sa représentation tant elle est celle de l’abîme, d’autant plus cruel que, depuis la Shoah, les Hommes sont, contrairement à Ulysse, livrés à eux-mêmes, abandonnés des Dieux. Car, après le traumatisme, tous sont, chacune et chacun à leur échelle, enfermés en eux-mêmes, comme prisonniers de cette cage qui ne cesse, au long des fragments, de parcourir la scène, où l’usage de la vidéo renforce encore l’impression de pouvoir lire au fond des âmes. Tandis que Shayek n’est plus que l’ombre de lui-même, dévasté par la perte de l’ensemble de ses proches, exception faite d’Izolda, qu’Ulysse rejoue le passé avec Calypso plutôt que de se consacrer à Pénélope, Lanzmann et Heidegger paraissent captifs de leurs certitudes intellectuelles. Tous vivent avec des fantômes plutôt qu’avec les vivants, avec des spectres qui les engluent et les empêchent de vivre, et, ce faisant, entravent la représentation honnête de leurs souffrances.

Sur une corde dramaturgique plus raide qu’à l’accoutumée, épaulé par les excellents comédiens de la troupe du Nowy Teatr qu’il dirige, Krzysztof Warlikowski mobilise alors son langage et son savoir-scénique reconnaissables entre mille pour soutenir cette composition qui, si elle reste remarquable d’intelligence dans son propos comme dans son agencement, oblige, au vu de la lourdeur du sujet, à une certaine retenue, voire à une forme de gravité qui peut, parfois, a priori, passer pour de la léthargie. Reste que, une fois le puzzle reconstitué, tout s’éclaire et tout brille, dans la façon qu’a la représentation d’être au diapason des individus qu’elle invoque, ces êtres dont le feu intérieur s’est éteint, et qui errent désormais bien plus qu’ils ne vivent.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

L’Odyssée. Une histoire pour Hollywood
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
D’après L’Odyssée d’Homère et Le Roi de cœur et Roman pour Hollywood d’Hanna Krall
Texte Krzysztof Warlikowski, Piotr Gruszczyński
Co-auteur Adam Radecki en collaboration avec Szczepan Orłowski et Jacek Poniedziałek
Avec Mariusz Bonaszewski, Stanisław Brudny, Agata Buzek, Magdalena Cielecka, Ewa Dałkowska, Roman Gancarczyk en alternance avec Andrzej Chyra, Bartosz Gelner, Małgorzata Hajewska-Krzysztofik, Jadwiga Jankowska-Cieślak, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Hiroaki Murakami, Maja Ostaszewska, Jaśmina Polak, Piotr Polak en alternance avec Paweł Tomaszewski, Jacek Poniedziałek, et à l’image Maja Komorowska et Krystyna Zachwatowicz-Wajda
Collaboration artistique Claude Bardouil
Scénographie et costumes Małgorzata Szczęśniak
Dramaturgie Piotr Gruszczyński en collaboration avec Anna Lewandowska
Musique Paweł Mykietyn
Lumières Felice Ross
Vidéo et animations Kamil Polak
Réalisation du film de l’interrogatoire Paweł Edelman
Maquillage et perruques Monika Kaleta
Traduction du texte en français Margot Carlier
Traduction du texte en anglais Artur Zapałowski
Régie des surtitres Zofia Szymanowska
Assistant à la mise en scène Jeremi Pedowicz

Production Nowy Teatr
Coproduction La Colline – théâtre national, La Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale, Printemps des Comédiens, Athens and Epidaurs Festival, Schauspiel Stuttgart
Avec le soutien du programme Europe créative de l’Union européenne

Durée 4h avec entracte

La Comédie de Clermont-Ferrand
les 17 et 18 mars 2022

La Colline, Paris
du 12 au 21 mai 2022

20 mars 2022/par Vincent Bouquet
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