Inventer sa vie à ses risques et périls… Johanna Boyé met en scène le roman de Karine Tuil dans une adaptation limpide au rythme endiablé. L’Invention de nos vies est un thriller théâtral haletant à découvrir à Théâtre Actuel.
C’est à quatre mains que Johanna Boyé et Leslie Menahem se sont emparées du roman de Karine Tuil pour en réaliser une adaptation scénique des plus réussies. L’Invention de nos vies est un spectacle haletant et percutant, une plongée vertigineuse dans les arcanes du mensonge, qui vient interroger la construction de soi dans une société pétrie de préjugés, de racisme, de clans et de clivages dont la réussite sociale (professionnelle et économique) constitue le Graal absolu.
A la mise en scène, Johanna Boyé (dont on avait pu admirer dans le même théâtre avignonnais Les Filles aux mains jaunes) excelle à faire de cette aventure de vie hors norme un spectacle palpitant, véritable thriller théâtral qui révèle au compte-goutte ses mystères et ressert peu à peu son étau autour du personnage principal, le fascinant Sam (Samir ? Samuel ?) interprété par le charismatique et physique Valentin de Carbonnières, remarquable de séduction débridée, de dualité et d’ambiguïté. Sam est devenu l’un des avocats les plus prisés des Etats-Unis. Riche, médiatisé, envié, en un mot, puissant. Marié à la fille d’une imposante fortune juive, père de deux enfants, sa vie ressemble à un conte de fée moderne. Sauf que. Qui se cache derrière cet homme anguille dont le double jeu se dévoile au fur et à mesure ? On évitera d’en dire trop ici tant le suspense de ce récit effréné, tout en rebondissements et basculements, fait le sel de ce spectacle magistral mené tambour battant.
Johanna Boyé orchestre avec brio le rythme frénétique des scènes qui s’enchaînent à vive allure, comme prises dans les rouages des mensonges en rafale. Avec ingéniosité et précision, elle chorégraphie un ballet d’entrées et de sorties qui ont des airs de tours de magie. On vogue de New-York à la banlieue parisienne en un rien de temps, d’un aéroport à un cabinet d’avocat, d’un loft classieux à un appartement crasseux en passant par un restaurant huppé grâce à des éléments de décor mobiles que les comédien.nes manipulent eux-mêmes avec rapidité et fluidité dans une scénographie d’ensemble élégante et épurée (très belle réalisation de Caroline Mexme). Une arche métallique découpe l’espace scénique, doublée par une autre plus petite en fond de scène que l’on entrevoit à travers un rideau de fils, créant un effet de perspective énigmatique. Le décor, symbolique et polysémique, suggère à la fois la mobilité entre les mondes, les strates sociales à franchir et la prison dans laquelle s’est enfermé celui que personne ne connaît vraiment. Jeux de transparence et de révélation, comme on traverse le miroir, c’est le théâtre des apparences qui est ici mis en lumière.
L’image de soi, le récit de soi, ce que l’on donne à voir et ce que l’on masque, motifs inépuisables que brasse cette histoire « de fou » qui questionne la réussite, l’identité, la liberté, le choc des cultures, le visible et l’invisible. En adaptant le livre de Karine Tuil au théâtre, Johanna Boyé et Leslie Menahem ont eu du flair, pressentant la théâtralité intrinsèque aux thématiques romanesques. Dirigés au cordeau, les comédien.nes, tous extraordinaires, endossent les nombreux rôles de cette intrigue foisonnante, dans des grands écarts épatants. De scènes dialoguées en récits imprégnés de littérature, ils portent avec panache cette constellation de personnages et forment une troupe puissante qui nous entraîne dans les méandres de plus en plus oppressantes de ce labyrinthe identitaire passionnant.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
L’Invention de nos vies
d’après le roman de Karine Tuil (paru aux éditions Grasset)
Adaptation Johanna Boyé et Leslie Menahem
Mise en scène en scène Johanna Boyé
Avec Valentin de Carbonnières, Mathieu Alexandre, Yannis Baraban, Nassima Benchicou, Brigitte Guedj, Kevin Rouxel, Elisabeth Ventura
Scénographie Caroline Mexme
Costumes Marion Rebmann
Création lumières Cyril Manetta
Création sonore Mehdi Bourayou
Assistante mise en scène Stéphanie Froeliger
Soutien chorégraphique Johan NusDurée : 1h35
Festival Off d’Avignon 2022
Théâtre Actuel
du 7 au 30 juillet à 17h30 (relâches les 11, 18 et 25 juillet)Théâtre Rive-Gauche, Paris
à partir du 15 septembre
Du mardi au samedi à 21h
Les dimanches à 15h
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