Revenant à l’auteur américain Tracy Letts, le metteur en scène Dominique Pitoiset scrute dans une pièce sans puissance l’évolution des rapports de genre.
Après avoir monté en 2014 Un été à Osage County de Tracy Letts – pièce qui valut à l’auteur le prix Pulitzer en 2008 –, Dominique Pitoiset s’attaque à un nouveau texte de l’auteur américain. Avec, toujours, l’ambition de livrer à travers des trajectoires intimes un état des lieux de la société américaine. Pour Linda Vista, ce n’est pas au cœur de l’Oklahoma que l’intrigue se déroule, mais dans un quartier de San Diego. Linda Vista – soit « belle vue », en espagnol – désigne un quartier situé sur les hauteurs de la ville de San Diego, dans l’Etat de Californie et à quelques encablures de la frontière mexicaine. Cet imaginaire californien est énoncé dès le début du spectacle : alors que la scène est encore plongée dans l’obscurité, un écran diffuse en accéléré des images de ville et de plages, tandis que résonne une reprise du morceau California Dreamin’ initialement composé par The Mamas & The Papas en 1965.
Manière de situer l’action, ce choix peut, également, souligner ironiquement le contraste entre cette image d’Epinal et le récit qui va suivre. Car si le personnage central de la pièce, Wheeler, comme ses amis de longue date (Paul et Margaret) et ses collègues semblent vivre dans un relatif confort matériel, le quotidien de l’homme ne correspond pas à un rêve douillet. Lorsque le spectacle débute, Wheeler est en train d’emménager dans un nouvel appartement, aidé par Paul. Désabusé, empêtré depuis plus de deux ans dans une séparation interminable avec sa femme, Wheeler évoque ses vagues tentatives de conquête amoureuse. Paul se met alors en tête avec Margaret de lui présenter quelqu’un : ce sera Jules, femme trentenaire spontanée travaillant comme coach en développement personnel. Tous deux débutent une liaison, jusqu’à ce que Wheeler la quitte pour Minnie, jeune voisine qu’il héberge suite à la rupture de cette dernière avec son ami. Wheeler, très épris, s’imagine alors élever l’enfant de Minnie. Sauf que Minnie le quitte à son tour et Wheeler tente de retrouver Jules. Ce sont tous ces rebondissements que le spectacle déplie, la mise en scène enchaînant les changements de lieux (appartement de Wheeler ; le magasin de vente et réparation de matériels et d’appareil photos argentiques où il travaille ; un bar-karaoké ; une salle de sport, le cabinet de Jules, etc.) et Wheeler ne quittant jamais le plateau.
Singulières en regard du reste de l’intrigue, deux scènes situées au début et à la fin se déroulent sur le lieu de travail de Wheeler : à chaque fois, l’homme assiste aux sous-entendus graveleux que son patron Michael adresse à sa collègue Anita. Si, la première fois, il n’intervient pas, il prend la défense de la jeune femme la seconde. Ces séquences renvoient à une prise de conscience du quinquagénaire de la nécessité de repenser les rapports entre genres. Une évolution que Wheeler réalise au forceps suite à ses déboires sentimentaux et qui laisse, peut-être, espérer un avenir plus serein pour cet homme sans illusions.
Néanmoins, en dépit de son sujet, Linda Vista laisse dubitatif. Passons sur le caractère bavard de la pièce, Tracy Letts, dans son souci de rendre compte du quotidien, se laissant aller à des dialogues parfois pauvres et convenus. Passons sur le tropisme psychologisant du texte et ses écueils, celui de virer au catalogue de considérations clichées et un brin moralistes sur le monde tel qu’il va en ces années 2010. Passons, enfin, sur cette remarque étonnante de Dominique Pitoiset tirée de la note d’intention : « Le quinquagénaire est celui qui a le plus à dire mais que personne ne veut écouter » (le quinquagénaire blanc et hétéro ne relevant guère de la minorité discriminée dans notre société …).
La pièce, avec ses enchaînements perpétuels, s’étire dans certaines longueurs et demeure par son propos trop timorée et datée. Si Dominique Pitoiset la qualifie de « discours sur l’état de la désunion libre à l’ère Weinstein », les comportements extrêmement genrés des personnages semblent à mille lieues des bouleversements induits par ladite affaire. Et les caractères falots et caricaturaux des personnages de Jules et Anita ne servent guère cette revendication. Seule reste le plaisir de découvrir des comédiens, les actrices Nadia Fabrizio (Margaret) et Daphné Huynh (Minnie) tirant remarquablement leur épingle du jeu et composant des femmes complexes, puissantes jusque dans leurs doutes.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Linda Vista de Tracy Letts
Texte français et dramaturgie
Daniel Loayza
Mise en scène et scénographie
Dominique Pitoiset
Avec
Jan Hammenecker, Sandrine Blancke, Jean-Luc Couchard, Nadia Fabrizio, Jean-Michel Balthazar, Selma Alaoui, Daphné Huynh
Costumes Nadia Fabrizio
Lumières Christophe Pitoiset
Vidéo Benoit Rossel
Accessoires Bertrand Nodet
Maquillage – Coiffure Cécile Kretschmar
Direction technique Philippe Richard
Son Bertrand Lechat
Assistante mise en scène Marie Favre
PRODUCTION
Un projet de La Compagnie Pitoiset – Dijon
Coproduction : Les Gémeaux/Sceaux/Scène nationale, Bonlieu Scène nationale Annecy, Théâtre de Liège, MC2 : Maison de la Culture/ Scène nationale de Grenoble, Espace des Arts/Scène nationale Chalon-sur-Saône, DC&J Création avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement Fédéral de Belgique et de Inver Tax ShelterDurée : 2h40
Gémeaux, Scène Nationale de Sceaux 14.11 – 01.12.2019
Théâtre de Liège 04.12 – 08.12.2019
MC2 : Grenoble 11.12 – 12.12.2019
Espace des Arts Scène nationale de Chalon-sur-Saône 19.12 – 20.12.2019
Théâtre Dijon Bourgogne 08.01 – 11.01.2020
MAC Créteil 04.02 – 05.02.2020
Anthéa antipolis Théâtre d’Antibes 13.02 – 14.02.2020
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