Second volet d’un diptyque consacré à l’exploration d’autres mondes possibles, L’Horizon des événements de Frédéric Sonntag entremêle savamment réel et fiction, astrophysique et intime, passé proche et hier plus lointain. Rassemblés par une enquête, ces divers récits forment un tout théâtral stimulant pour l’esprit autant que pour les sentiments.
Dans le paysage théâtral actuel, Frédéric Sonntag occupe les carrefours. Il se promène aussi dans les labyrinthes. S’il emprunte les chemins du théâtre documentaire, c’est en mêlant certaines de ses composantes à celles d’une culture pop qui aime à remettre en question le réel tel qu’il est communément traité. S’il développe des fictions dont la plupart des héros sont des artistes méconnus, aux trouvailles oubliées, c’est pour porter une réflexion complexe sur l’état du monde. C’est pour donner à penser ce qui l’attend si l’on ne change rien, si l’on ne met pas un grand coup dans les rouages du capitalisme. C’était là le but du groupe d’activistes de GEORGE KAPLAN (2013), dont les aventures croisaient celles d’une équipe de scénaristes en pleine recherche pour une série télé, ainsi qu’un complot international… C’était certainement l’une des raisons de la disparition de l’écrivain éponyme de Benjamin Walter (2015), où Frédéric Sonntag nous livrait le fruit d’une enquête réelle à travers l’Europe, largement teintée d’imaginaire.
La quête d’un modèle de société alternatif était encore au cœur de D’autres mondes (2020), où elle était incarnée par un jeune physicien français et un auteur de science-fiction soviétique des années 60, ainsi que par leurs enfants : le leader d’un groupe de rock et une futurologue. Cette recherche est de nouveau au cœur de L’Horizon des événements, deuxième partie du diptyque « Se souvenir du futur » ouvert par D’autres mondes. À Points Communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise où nous avons découvert le spectacle, la grande cohérence des ronds-points et des dédales de Frédéric Sonntag et de sa compagnie AsaNIsiMAsa était d’autant plus évidente que le lieu entretient une belle fidélité avec eux : en résidence de 2018 à 2020, ils y ont joué D’autres mondes et n’ont perdu personne. Chaque nouvel entrelac d’histoires, chez Frédéric Sonntag et ses comédiens et autres collaborateurs fidèles, s’ajoutent aux précédents en un effet parfaitement maîtrisé de confusion joyeuse et passionnante.
Dernière pièce en date d’une construction déjà imposante et complexe – née en 2005, la compagnie compte une vingtaine de créations à son répertoire –, L’Horizon des événements en élargit subtilement le spectre. Interprété par les mêmes neuf comédiens et musiciens que L’Autre monde, porté par les mêmes créateurs à la vidéo, au son ou encore à la lumière, il est plus que toute autre pièce de Frédéric Sonntag un spectacle sur la notion de variation. Les figures qui peuplent L’Horizon en question, d’autant plus nombreuses que chaque acteur incarne plusieurs personnages, ont un air de famille avec celles qui se croisent dans la première partie du diptyque, elles-mêmes étrangement ressemblantes à d’autres protagonistes de la constellation Sonntag. Cette densité due au passé de la compagnie n’empêche en rien celle-ci de développer un monde assez ouvert et riche pour être appréhendé de manière autonome.
On y pénètre par une nouvelle enquête : celle du jeune Nathan qui, apprenant brutalement en 2005 qu’il va être père, se plonge dans les archives laissées par ses parents, les économistes Elena et William Jeffrey. Nulle personnalité artistique hors des sentiers battus pour une fois dans cet opus, ni d’ailleurs aucun artiste, mais uniquement des femmes et des hommes consacrant leur vie à la science et à l’avenir du monde, et leur entourage. Lequel questionne l’héritage légué par leurs idéalistes de géniteurs, dont les combats n’ont pas toujours fait date. C’est le cas des parents de Nathan, dont le projet de recherche « L’Horizon des événements » inspiré du rapport Meadows sorti en 1972 – il alertait sur les dangers d’une croissance économique exponentielle – a été interrompu pour des raisons de moins en moins mystérieuses au fil de la pièce. Car l’enquête du fils, qui tient ensemble les différentes histoires dont est fait le spectacle, porte ses fruits. Ce qui ne veut pas dire que l’on ressort des deux heures quinze de la pièce avec un savoir bien solide, bien rassurant.
La plupart des événements qui se profilent à l’Horizon n’étant que le glissement d’un fait précédent ou futur, une variation, la moindre avancée de l’enquête de Nathan ou des recherches de ses parents sont sans cesse soumises à la possibilité d’un renversement. La grâce qu’ont les comédiens à passer d’un rôle, d’une époque, d’une science à l’autre – deux astrophysiciens américains chasseurs de trous noirs dans les années 70 viennent régulièrement interrompre la reconstitution de la recherche des Jeffrey –, fait de cette fragilité une force théâtrale. Bien qu’extrêmement maîtrisés, les changements permanents d’espace-temps, marqués par des variations du type de jeu, produisent un effet « couture » qui nous rend concrètes, accessibles les diverses notions complexes mises en mouvement au plateau. La précision avec laquelle sont représentées les relations, les sentiments de ceux qui font la science sont aussi pour beaucoup dans la dimension très ludique de ce théâtre qui pense et fait penser, et virevolter.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
L’horizon des événements
Texte et mise en scène Frédéric Sonntag
Avec Romain Darrieu, Amandine Dewasmes, Antoine Herniotte, Paul Levis, Gonzague Octaville, Victor Ponomarev, Malou Rivoallan, David Sighicelli, Fleur Sulmont et un enfant
Création et régie vidéo Thomas Rathier
Création musicale Paul Levis
Création et régie lumière Manuel Desfeux
Scénographie Anouk Maugein
Création Costumes Hanna Sjödin
Maquilleuse / Coiffeuse Pauline Bry
Régie générale et plateau Boris Van Overtveldt
Régie son Clément Baysse
Assistanat à la mise en scène Anne-Laure Thumerel
Administration, production, diffusion Emilie Henin & Valentina Viel (Bureau Formart)
Photographie © gaelic69
Production ASANISIMASA
Coproduction et résidence Scène nationale 61 Alençon / Flers / Mortagne-au-Perche, Le Trident – Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin, le Théâtredelacite – CDN Toulouse Occitanie, Points Communs – Nouvelle Scène nationale de Cergy Pontoise / Val d’Oise, La Comédie de Colmar – CDN Est Alsace, Le Tangram – Scène nationale Evreux-Louviers, le Manège Maubeuge – Scène nationale transfrontalière
Avec le soutien de de la DRAC Île-de-France et de la Région Île-de-France au titre de l’aide à la permanence artistique et culturelle, du fonds de production de la DGCA, du Fonds SACD musique de scène et de la SPEDIDAMAction financée par la Région Île-de-France
Avec l’aide à la création de texte dramatique d’Artcena
Durée : 2h15
Vu à Points Communs, Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise
Monfort Théâtre à Paris
du 8 au 18 novembre 2023
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