Sans masque ou presque, si ce n’est celui de la fiction, Lionel Lingelser livre un seul en scène largement autobiographique où se révèle l’histoire intime d’un acteur à l’énergie et à la précision redoutables.
On connaît Lionel Lingelser essentiellement à travers la compagnie Munstrum, qu’il a fondée avec Louis Arène. Révélée notamment en 2019 avec 40°sous zéro inspiré de Copi, elle opère un travail remarquable sur le costume et le masque qui n’est pas étranger à son succès. Mais dans Les Possédés d’Illfurth, Lionel Lingelser déboule sur scène sans masque et pour se mettre à nu. Avec couronne en carton sur la tête et maillet à bout rouge qu’il frappe sur son tambour avec une énergie diabolique. Dans le personnage d’Hélios, double autofictif créé par Yann Verburgh, à qui Lionel Lingelser a confié ses souvenirs de jeunesse. Pendant une heure quinze, l’acteur nous emporte ainsi dans son passé intime teinté d’un voile fictionnel et livre sur scène une performance remarquable.
D’une précision exceptionnelle dans la gestuelle, dans le corps, d’une énergie inépuisable et d’une joie de jouer qu’il partage allègrement, Lionel Lingelser évoque ainsi son enfance alsacienne, à Illfurth précisément, petit village où il a grandi, dans l’ombre des possédés qui donnent leur titre au spectacle. Deux jeunes qu’on a accusés d’être possédés par le diable, qui furent exorcisés au siècle dernier. Poids de la religion, énurésie et pesant couvercle du silence marquent une adolescence frappée encore et surtout par les abus répétés d’un jeune camarade rencontré au basket. La douleur est rendue avec pudeur et émotion. La possession est de retour sur les terres d’Illfurth. Sous une forme différente, traumatisante, que le théâtre va l’aider à sublimer.
Direction El Duende de Garcia Lorca. Sorte de monstre incandescent qui peut également posséder les êtres. De manière positive cette fois, car sa présence conditionne pour l’interprète la réussite de sa prestation. Direction la Suisse et un metteur en scène à l’accent ibérique, derrière lequel on croit deviner Omar Porras. Direction le théâtre et retour sur ses terres pour une première interprétation de Scapin. Un retour aux sources pour une première représentation devant amis, famille et le fameux Bastien qui l’a si longtemps abusé. La narration procède par aller-retours très bien fléchés et permet de traverser une ribambelle de personnages que Lionel Lingelser caractérise d’un rien et avec beaucoup de talent. On pense naturellement au Caubère des jeunes années, en moins cabotin, et avec une énergie et un rythme tout contemporains. Quelques passages paraissent un peu longs, mais la performance d’acteur est telle qu’elle emporte tout sur son passage.
La distance avec le milieu y est. « Etre au présent » comme le répète à l’excès le maître ibéro-helvétique apparaît comme un mantra aussi drôle que vrai. Les Possédés d’Illfurth raconte bien l’histoire d’un acteur mais surtout celle d’un jeune homme de province qui doit se construire à travers le viol. Le seul en scène se déploie sur un registre grand public tout en donnant à sentir comment le théâtre aide à réparer. Passion et humour permettent de viser juste, là où l’intime touche à l’universel.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Les Possédés d’Illfurth
avec Lionel Lingelser
mise en scène Lionel Lingelser, texte Yann Verburgh, collaboration artistique Louis Arene, création lumières Victor Arancio, création sonore Claudius Pan, régie Ludovic Enderlen, administration, production, diffusion Clémenc Huckel, Florence Bourgeon – Les Indépendances, photos © Claudius Pan.Production Munstrum. Théâtre
Coproduction La Filature, Scène Nationale de Mulhouse & Scènes de rue – Festival des Arts de la rue
Avec le soutien de la Ville de Mulhouse et du Département du Haut-Rhin / Collectivité européenne d’Alsace.
Le Munstrum Théâtre est associé à la Filature scène nationale de Mulhouse ainsi qu’au projet du Quai – CDN d’Angers.
La compagnie est conventionnée DRAC Grand-Est & aidée à la structuration par la Région Grand-Est. Elle est soutenue par la Ville de Mulhouse.
Durée: 1h 20
Rond-Point Paris
du 14 mai au 1 juin 2024
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